1

208 27 10
                                    

  Dans une petite maison isolée, entourée d'une forêt sombre et touffue, une petite ampoule éclaire une chambre rose. Par la fenêtre, on peut voir le lit couvert d'un motif à coeurs, la commode blanche et les murs saumon. Protégée par la façade éclairée de la lueur blafarde de la pleine lune, la chambrette semble couvée, en sécurité derrière cette barrière. Les herbes hautes frôlent les tiges du lierre qui tapisse l'extérieur de la maisonnée. Le vent souffle et siffle, venu du nord, endurci par son passage dans les plaines. La seule touche de couleur à l'extérieur de la maisonnée est le mauve des géraniums qui sont ballotés à la fenêtre par les bourrasques.

  Une petite fille marche dans la chambre. Elle s'assied à son bureau et commence à dessiner mollement, avant de se lasser, quelques secondes plus tard. Son regard bleu ciel dévie vers sa montre posée sur le bureau. Elle affiche huit heures du soir, et la fillette soupire. Sa petite robe immaculée ornée de dentelles volète comme la traîne d'un fantôme quand elle se dirige vers la porte et la pousse pour se rendre dans le couloir. Elle chantonne dans le silence mortel de la maison, pour se donner du courage. A chaque fois que ses parents sont de sortie, elle s'ennuie. Mais, surtout, elle a peur. Seulement, jamais elle ne le dira à ses parents, ils la traiteraient de peureuse. Non, jamais, elle gardera le secret.

  Comme chaque fois, elle a dû préparer son souper seule. Couper les légumes n'a plus de secret pour elle. Le long couteau non plus. Le bruit qu'il fait en claquant contre la planche de bois a même fini par l'apaiser. La viande qui crépite dans la poêle et les légumes dans la casserole d'eau chaude ont fini par remplir son petit estomac.

  La fillette marche vers la cuisine, y prend une pomme dans la corbeille à fruits, puis la croque accoudée à la table. Le jus coule un peu sur son menton, mais elle l'essuie prestement. Lorsqu'elle l'a terminée, elle jette le trognon à la poubelle, puis retourne dans sa chambre en chantonnant.

  La fillette sautille d'un air joyeux et innocent, seulement elle ne tromperait personne : la peur la tient au ventre. Les bruits dehors, les volets qui claquent, le vent qui souffle contre la maison, tout cela ne fait qu'un crescendo pour son angoisse. Son imagination s'emballe vite, dans sa petite tête de sept ans, et elle ne le sait que trop bien.

  Lorsque ses parents ne sont pas là, elle ne dort pas.

  Elle pousse la porte de sa chambre, puis s'avance dans la pièce en sifflotant. Ses chaussures vernies, noires comme le manteau de la mort, brillent sous la lueur de l'ampoule. Elle attrape sa chaise, s'y assied, et regarde par la fenêtre. Elle guette la voiture de ses parents.

  Deux heures passent sans que rien ne se produise. La nuit cache dans un brouillard de suie, toute trace de vie. Les paupières de la fillette commencent à se faire lourdes, mais le sentiment de peur ne l'a toujours pas quittée. Son coeur bat un peu trop vite. Le sang pulse dans ses oreilles. Les battements sourds résonnent dans la pièce.

  Elle décide alors de se calmer en jouant à la poupée.

  Le petit ange fantomatique se lève, et se dirige vers l'étagère blanche dans un coin de la pièce.

  Elle saisit d'une main ferme et potelée sa favorite, qui tient toujours le rôle de la Princesse du Royaume Enchanté. Elle possède de longs cheveux noirs comme de l'ébène, des yeux de verre bleu qui tournent dans leurs orbites figées et une robe de dentelle blanche. Sa peau est de cire.

  Elle l'installe sur une chaise, qu'elle imagine trône, et saisit la poupée qui sera la servante. Une fois la scène en place, la maîtresse de ces marionnettes de cire commence à les secouer de manière exagérée afin de leur donner vie.

- Oh, princesse, le prince arrive ! crie-t-elle d'un voix trop aiguë et faussement affolée en tenant la servante.

- Vite, cachons-nous ! répond la princesse par la bouche de la fillette.

  Mais bien vite, après quelques minutes de ce jeu, la marionnettiste en a assez. Sa peur refait petit à petit surface à l'entente des bruits qui continuent à retentir autour de son cocon, de sa maison. Un animal hurle. Elle croit entendre des bruits de pas, et ferme les yeux.

- Personne, personne n'est là... ne cesse-t-elle de se répéter inlassablement. Je suis toute seule, comme à chaque fois... Personne, personne n'est là... Je suis toute seule...

  Sa chanson résonne dans la maison vide comme un chant funèbre. Des grincements se mettent à l'accompagner, et elle ferme les yeux encore plus fort tout en se bouchant les oreilles. Son imagination s'emballe à une vitesse folle sans qu'elle n'ait le moindre contrôle dessus. Des notes d'orgue franchissent la barrière de ses mains et atteignent ses tympans. Elle ouvre brutalement les paupières. Il n'y a aucun orgue dans la maison.

  Complètement paniquée, la fillette se couche sur son lit, la respiration rauque et les battements de coeur bien trop forts. Ils pulsent dans ses tempes, et bouchent ses oreilles de leurs bruits sourds et répétés. Elle se couvre toute entière de sa couverture dans l'espoir vain qu'elle arrête sa peur.

  Mais, à sa grande terreur, elle ne fait qu'augmenter.

Acculée [FINIE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant