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Grossière erreur.

Sans cela, peut-être n'aurait-elle pas vu cette poupée. Peut-être serait-elle morte sans douleur. Peut-être n'y aurait-il pas eu d'histoire. Peut-être n'aurait-elle pas hurlé à la vue du regard mort que le jouet lui lançait, du sourire sadique qui étirait les lèvres de cire de la petite marionnette.

Son hurlement sonne dans toute la masure. Un hurlement de terreur, un cri d'effroi. Le sourire de la favorite s'agrandit.

La poupée s'avance d'une démarche saccadée vers sa cible, tremblante, dont le cerveau ne fait que crier « Sauve-toi ! ».

Enfin, les liaisons se font, les neurones se connectent, et la fillette se lève d'un bond pour sauter vers la porte. La poupée la suit plus lentement, handicapée par ses membres désarticulés qui peinent à se mouvoir. Mais son regard fixe et mort, lui, ne peut être plus performant. Les billes de verre suivent la proie sans la lâcher une seule petite seconde.

La fillette vole au dessus du sol, la peur lui donnant des ailes dont elle ne se serait passé pour rien au monde. Son visage est figé par la peur, son teint cireux couvert d'une fine pellicule de sueur tandis qu'elle attrape le chambranle de la porte de la cuisine pour tourner plus sec.

Elle fouille la pièce du regard rapidement, cherchant à tous prix une sortie. La port d'entrée est fermée à clef par ses parents lors de chacune de leurs sorties, aussi elle ne pourrait l'ouvrir. Elle serait prise au piège.

Sa respiration hachée est le seul bruit que l'on entend dans toute la maison, si l'on excepte les chocs sourds et irréguliers que provoquent les chaussures cirées à la semelle dure de la tueuse d'enfant. Elle approche. Elle en est la moitié du couloir.

Au bout de quelques secondes, qui lui paraissent les plus longues de sa courte vie, la fillette parvient à ouvrir la fenêtre, qui cède en un bruit de cassure, et tombe de l'autre côté.

La tête de la poupée apparait à l'angle de la porte.

Le petite fille roule sur elle-même, se relève du tapis d'herbe mouillée et se met à courir vers la forêt. Ses pupilles écarquillées prennent la moindre petite lumière pour apercevoir le sol, la pleine lune l'aidant un peu. Mais la nuit reste tout de même sombre, et elle trébuche plusieurs fois sur des branches et des rochers qui affleurent, dépassant de la terre, comme s'ils voulaient la ralentir dans sa fuite désespérée. Le manteau d'obscurité l'étouffe, les arbres se tendent vers elle comme des mains et des bras de squelettes, et des craquements la font sursauter.

La poupée roule dans l'herbe en tombant de la fenêtre. Elle relève son visage barbouillé de terre aux yeux intacts, puis reprend sa chasse.

Dans sa main de bois peint, un objet luit sous les rayons lunaires.

Juliette, ma Juliette... Attend-moi... grince-t-elle.

Mais Juliette ne l'entend pas de cette oreille, et continue de courir de toutes ses forces vers une hypothétique survie.

Sa robe blanche de dentelle rayonne comme un phare qui guide sa poursuivante. De loin, on aurait pu la prendre pour un fantôme qui vole vers le cimetière, ou vers un monde parallèle, une dimension mortuaire. Son visage livide est le tableau qui raconte sa terreur. Ses cheveux paraissent des toiles arachnéennes, tels ceux d'une morte, et ses yeux furètent partout, inquiets de ne fut-ce que discerner l'ombre de la poupée. Ses frêles pieds martèlent le sol dans des bruits sourds qui ébranlent le silence glauque qui règne dans cette partie de la forêt.

Un filet de brume se faufile entre les troncs tandis que la petite s'arrête. Reprenant péniblement son souffle, elle s'appuie contre l'écorce d'un sapin. Juliette se tourne de tous les côtés, mais elle doit se rendre à l'évidence. Elle est perdue.

Au loin, plus proche qu'il n'y paraît, une forme se déplace sur le sentier. Elle foule la terre de ses chaussures vernies, balançant la tête d'avant en arrière au rythme de ses pas. L'une de ses mains serre un objet dans ses doigts de bois. La lune, en s'y reflétant, le fait briller.

Acculée [FINIE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant