Six.

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Je me rappelle, plus que bien même, de cette première fois épique où j'ai envoyé un message à Alexeï. Parce que, oui, tu peux m'applaudir, j'étais parvenu à choper son numéro. Ça parait anodin, je suis d'accord, pourtant, ce fut un pur exploit.

Deux jours, mon gars. Il m'aura fallu deux jours pour récupérer son numéro. Je ne pouvais pas me permettre de tout bonnement et simplement demander aux trois autres de me le refiler, oh que non, ma fierté ne s'en serait pas remise. Il fallait absolument que je le lui demande moi-même, tel le bonhomme que j'étais, et j'avais d'ailleurs trouvé l'excuse idéale.

« On devrait s'échanger nos numéros, comme ça, on pourrait se retrouver le matin et prendre le bus ensemble. » que je lui avais dit.

Certes, deux jours pour lui dire cela et ne recevoir qu'un simple «d'accord» en échange, ça peut paraitre long, je te l'accorde. Mais déjà rien que trouver l'excuse idéel, ça m'a pris bien une demi journée.

Au début, j'avais penser à «comme ça, on pourra s'entraider pour les devoir». Sauf que, de nous deux, j'étais le seul à avoir besoin d'aide et il le savait tout comme moi. Ça aurait, un peu, fait le mec qui gratte l'amitié pour copier. Pas terrible comme approche. Ensuite, il y eu «Vu qu'on est pote, passe-moi ton numéro». Trop direct, on est d'accord. Dans le même genre, j'étais passé par «On est pote, non ? On s'échange nos numéro alors.» ou encore «Si on est ami, tu devrais me passer ton numéro». Tu l'as ressenti aussi, non ? Le coup de pression. Bah, imagine qu'Alexeï ne nous considérait pas encore comme des amis, hein ? Il se serait senti obligé d'accepter une certaine relation amicale qui ne l'enchanterait guère forcément. Voilà, mauvaise idée.

Non seulement l'excuse m'avait pris des plombes, mais il fallait attendre le timing parfait. L'instant, au millième de seconde près, où on ne serait rien que tous les deux, sans un bruit, passé seize heures, un sweat-shirt vert, des Vans grises, du déodorant Axe et un chewing-gum à la menthe. Tout ça.

Voilà comment on obtient le numéro de son crush. Ah, oui mais non, merde, c'était pas encore mon crush en ce temps-là, j'suis con.

Nan, mais, en vrai, je te raconte tout ça, je me cherche des excuses, alors qu'au fond, je n'osais tout simplement pas le lui demander. Du moins jusqu'à ce que l'on se retrouve à nouveau seul, l'un à côté de l'autre dans le bus, en début de semaine, un mardi soir, nan j'déconne, je me rappelle pas du jour, mais on était rien que tous les deux, sans un bruit, passé seize heures, un sweat-shirt vert, des Vans grises, du déodorant Axe et un chewing-gum à la menthe, et c'est sorti tout seul. Je lui avait demandé son numéro, avec cette fameuse excuse, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.

L'étape suivante, forcément, était de lui envoyer un message. Le soir même, c'était fait.

Ce soir-là, le ciel ne m'avait pas laissé indifférent. C'en fut plus qu'amusant. J'étais installé dans ce siège de pêcheur, perché sur le balcon individuel de ma chambre, les mains dans les poches de mon épais manteau gris délavé, une clope aux lèvres et un pied en l'air, chaussé d'une demi paire de Vans grise, au repos sur la rambarde. Dans mes oreilles résonnait un peu de synthwave, amenant mon esprit à vaguer dans un futur psychédélique à l'allure d'un jeu vidéo des années quatre-vingt.

Les yeux levés, je riais. Le ciel me présentait son carnaval d'animaux. Chaque nuage qui flottait par dessus chez moi m'apparaissait sous la forme d'une bête. Une souris, un flamand rose, un serpent, une tortue, un chinchilla, un cheval, un lion et j'en passe.

Et là, mon ami, l'unique pensée qui m'ait traversé l'esprit, à cet instant précis, alors qu'un matou de coton gris bondissait par dessus mon immeuble, fut cette question plutôt triviale : à quoi ressemble le sourire d'Alexeï ?

Automatiquement, tu as fait le lien avec tout le baratin inutile qui t'a gavé deux minutes plus tôt. J'allais, effectivement, lui envoyer un message.

Contrairement à mes deux jours d'hésitation avant de lui demander son numéro de téléphone, sur le coup, aucune crainte ne m'animait et, en moins de deux, j'avais bravé le froid de cette nuit de fin d'automne, extirpant ma fidèle main gauche de son cocon. Oui, je suis gaucher, bonne déduction, tu veux une gommette ?

Portable en main, du bout du pouce, à une vitesse fulgurante, le message fut envoyé. Un simple «Hey». La seconde qui suivit, ma meilleure amie était de retour enfouie dans mon manteau. Plus que meilleure amie, je dirais même sexfriend, si tu vois ce que je veux dire. Je sais pertinemment bien que tu aimes ça, l'humour de boeuf, chut, ne mens pas.

Où est-ce que j'en étais... Le tout premier message envoyé à mon très cher Alexeï, exacte. J'en étais fier. Oh, tu n'imagines pas. Un sourire immense s'était immiscé sur mon visage, s'accompagnant d'une agréable chaleur au creux de mon poitrail d'étalon et mon attention s'en était allée retrouver le carnaval céleste.

Je n'avais pas attendu bien longtemps avant de recevoir une réponse, mais à peine avais-je lu le message que tout mon enthousiasme s'était envolé.

«Qui c'est ?»  

Oh, le con ! m'étais-je dis. Et le con dans cette histoire, ah bah, c'était bien moi. À trop vouloir faire le malin, j'suis tombé dans l'ravin. Le champion, j'te jure. Alexeï n'avait pas mon numéro, mais il est intelligent ce petit-là. Trente seconde plus tard, si pas moins, un second message m'était parvenu.

«Patrick ?»

GROWTH [B×B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant