L'Allée des Rois

LES SQUELETTES

En arrivant plus près de la montagne il découvrit qu'elle était creuse et s'ouvrait devant lui comme l'entrée de l'Allée : à nouveau, entre les hautes falaises, commençait un chemin de terre blanchâtre et rocailleuse, et malgré tout le chemin qu'il avait parcouru, Adil Jahid eut la désagréable sensation d'être revenu au tout début. Sans hésiter, il s'avança entre les falaises et entra dans l'Allée qui reprenait presque à l'identique. Mais au bout de quelques pas, les parois commencèrent à s'incurver, à s'écarter, et il arriva bientôt dans une sorte de petite vallée circulaire où le sentier s'arrêtait à nouveau au pied d'une haute paroi. Pas d'issue en apparence, mais le prince avait appris à se méfier des impasses et des murs de pierre.

Comme il s'apprêtait à faire le tour de la petite vallée en palpant les parois, il remarqua des débris blancs éparpillés sous les falaises, autour de lui. Des squelettes, pensa le prince avec un léger frisson, car ils étaient vêtus d'étrange façon. Il s'approcha d'eux : il devait y en avoir huit ou neuf, dispersés dans le cercle que formaient les parois, et la plupart d'entre eux semblaient avoir été broyés sous d'énormes blocs de roche qui avaient dû se détacher de la montagne. Et leurs manteaux... le prince se pencha sur un squelette à demi enfoncé sous un amas de pierres rougeâtres : les doigts brisés portaient des bagues aux joyaux sans prix, venus des mines situées aux confins du royaume.

Il alla voir les mains des autres squelettes aux quatre coins de la vallée: toutes étaient couvertes de trésors inestimables, dont plusieurs pierres précieuses si anciennes que les mines dont elles provenaient étaient épuisées depuis longtemps. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : ces ossements étaient ceux des anciens rois ! C'étaient donc ainsi qu'ils avaient péri : écrasés dans cette vallée par des éboulements, sans doute après avoir tenté d'escalader la paroi. Ils auraient pu revenir en arrière, ressortir du passage et contourner la montagne en repassant par la plaine, mais Adil Jahid savait comme eux que l'Allée des Rois ne continuait pas au-dehors. Pris de panique, il se jeta tour à tour sur chaque squelette, inspectant fébrilement leurs mains, et il finit par en trouver un, dont les jambes étaient broyées sous une puissante masse rocheuse, et dont la main portait une petite bague de rubis ornée d'un lion d'or sculpté.

Et Adil Jahid tomba à genoux et pleura, car il ne pouvait s'agir que de son père, qui avait mis cette bague le matin de son départ. Sur les dos du squelette il reconnut les lambeaux de son manteau, et il ne s'étonna pas de le voir presque tombé en poussière, car le soleil et le vent du désert pouvaient dessécher un homme jusqu'aux os en trois jours. Le prince songea avec peine à tous ceux qui l'aimaient, et à ce qu'ils auraient pensé s'ils s'étaient trouvés en ce moment avec lui: il songea à Mahdia, qui aurait sûrement pleuré de l'avoir vu partir pour arriver à une fin si triste, et il songea à Khalil, qui lui aurait sans doute dit combien il avait été fou de s'en aller. Il songea à sa mère, qui aurait sûrement pleuré elle aussi, en voyant ce qu'il restait de celui qu'elle avait aimé pendant si longtemps, et en voyant son fils si malheureux. Dans le soir tombant, Adil serra entre ses mains les restes de son père, et lui dit quelques mots tout bas.

Ne pouviez-vous changer la loi ?

Comme il se relevait et s'apprêtait à repartir d'où il était venu, Adil Jahid s'arrêta un instant. Les anciens rois étaient morts dans cette sinistre vallée, mais était-ce pour autant la fin de l'Allée ? Y avait-il quelque chose de caché derrière cette haute montagne devant laquelle s'arrêtait le chemin? Adil Jahid était triste, mais il voulait en avoir le cœur net. Lentement, il s'avança vers la paroi au fond de la vallée, où l'Allée semblait prendre fin, et comme il passait entre les ossements des anciens rois, une voix de tonnerre s'adressa à lui :

Prince Adil Jahid, fils d'Araslane, tu es arrivé au terme de ta quête !

Ici prend fin l'Allée des Rois.

Ici sont morts tes ancêtres pour avoir voulu connaître les secrets éternels de l'Allée.

Toi qui as voulu les retrouver, retourne-t-en d'où tu es venu, car il est encore temps pour toi d'être roi.

Toi qui as marché loin pour prouver ta vaillance, retourne-t-en parmi les tiens, et conte-leur ton aventure.

Celui qui s'attarde en cette vallée maudite ne trouve d'autre secret que celui de la mort.

Toutes les pierres de la vallée tremblèrent. Surpris par cette voix soudaine après des jours de silence, Adil Jahid ne sut que penser. Les mots de Mahdia lui revinrent à l'esprit.

On dit que des génies cruels se cachent dans les rochers et tuent les hommes qui s'aventurent entre les falaises.