Un gardien qui se fane...

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Les bruits de pas sur le carrelage me réveillent, où suis-je ? Qui est-ce ? Qui suis-je ? La tenue que je porte est comme un fardeau, il me sert de pyjama, de costard et de tenue de tous les jours. Oui, qui suis-je ? Je m'assois avec difficulté. J'ai appris à vivre chaque jour comme si c'était le dernier.

De nouveau, des pas sur cette pierre dure et froide. Le soleil n'est pas encore levé que déjà les gens s'activent. Si je pouvais retrouver une vie sereine !

Je me lève et m'étire en bousculant quelqu'un.

- Oh, excusez-moi, dis-je avec toute la politesse qu'il me reste et un sourire encore fatigué, je ne vous avais pas vu.

L'homme me toise de son1m90 puis lâche un petit « ce n'est rien » entre les dents. Je connais la suite. Quand il continuera son chemin il vérifiera ses poches en pensant que je lui est emprunté quelque chose. Je retourne m'asseoir dans mon coin en soupirant. C'est difficile de se dire que, avant, j'aurais pu lui ressembler, que je possédais la même vie que lui... Mais qu'en est-il maintenant ?Rien. Je ne sais plus si je lui ressemble, si je leur ressemble.

On m'a toujours dit qu'être différent n'était pas une barrière à la vie. Pourtant ce sont ces mêmes personnes qui m'ont tourné le dos en premier. Je ne peux pas les blâmer. J'étais le premier, à l'époque, qui tournait le dos au genre de personnes comme moi.

Certains peuvent dire qu'on ne fait rien pour changer les choses, qu'on ne cherche pas de travail mais dites-nous comment faire quand on rentre dans un abri chauffé et que la clientèle s'enfuit ou n'ose pas vous regarder dans les yeux ? Ce n'est pas une vie. Mais on fait avec. À quoi ça sert de se révolter ? Personne ne nous écoute. Ce n'est plus une douleur, ce n'est qu'une habitude. La pire souffrance est peut-être le fait que les enfants nous regardent avec sympathie, ils veulent venir nous parler mais leurs parents les retiennent par leurs petit poignets. Alors ils nous regardent juste, quelques fois ils nous font un petit signe de la main avec un sourire. Eux, ils nous voient comme des êtres humains... C'est peut-être les seuls.

Je m'appuie sur le mur derrière moi. Un troupeau de jeunes arrive en courant. Eux, ils ont perdu leur innocence et leur sympathie, la plupart font comme leurs parents leur ont appris, ils dévient leur regard... Qui pourrait leur en vouloir ?

Leurs pas sont rythmé parla musique assourdissante que crache leur enceinte. Ils attendent sur le quai, certains me regardent avec curiosité, d'autres avec dégoût. Je baisse le regard pour ne pas qu'ils se sentent observé. Et je réfléchis comme chaque jour à ma condition. J'ai faim, ça fait 4jours que je ne me suis rien mis sous la dent. Où vais-je trouver de la nourriture ? Dans des poubelles ? Oui, peut-être mais il faut faire ça le soir, quand il fait noir, pour ne pas choquer les passants ou les touristes. Où vais-je trouver de l'eau aujourd'hui ? Des robinets publics ? Peut-être.

Une douce musique de talons aiguilles se fait entendre, les portes s'ouvrent, elles trottinent jusqu'à ce qu'elles soient montées dans le véhicule. C'est Angélique. Une ancienne collègue avec qui j'aimais discuter,elle me semblait gentille, on riait beaucoup ensemble. Mais maintenant je la croise tous les jours, sans avoir un petit geste de la main ou un « bonjour » même amer, ça m'est égal. Mais non, la première fois qu'on s'est revu, je lui ai souris, elle a pilé, m'a toisé avec un rictus et est repartie la tête haute avec un regard hautain. Qui l'eut cru ? La femme qui paraissait bonne, gentille, généreuse n'était autre qu'un démon caché sous un nom d'ange qui se nourrit de la défaite des Hommes.

Le tintement d'une pièce se fait entendre, elle roule jusqu'à rencontrer un obstacle. Mon pied. Je ramasse la pièce avec mes large mains. Je regarde autour de moi, un jeune homme s'avance vers moi. Je me lève.

- Tenez, dis-je, vous avez perdu de la monnaie.

Il me regarde avec attention puis admire la pièce. Je patiente calmement.

- Merci, souffle-t-il, mais... Je pense que vous en avez plus besoin que moi.

Je ris doucement.

- Tu sais, lui dis-je, je ne vais rien en faire de ta pièce et puis tu as toute la vie devant toi. Moi, il me reste peut-être seulement que quelques jours.

Il me regarde et essayé d'assimiler ce que je viens de dire. Je lui pose la pièce dans samain et referme ses doigts dessus.

- Bonne journée mon garçon, soufflais-je.

- Mer... Merci.

Et il repart de là où il venait puis entre dans une rame.

L'argent m'est un peu égal, je ne demande rien à personne. À quoi ça sert ? De toutes façons, les gens ne donnent pas leur argent aussi facilement,notre monde n'est pas un film. Il est dur, il nous montre peut-être ce qu'on vaut réellement et je peux comprendre ce que je vis, je n'ai pas été le meilleur des Hommes et j'ai souvent mal fait. J'en paye tout simplement les frais. Ce n'est pas simple à accepter. Je l'admets. Mais à vrai dire, tout cela, est l'œuvre de l'argent. C'est lui le responsable de cette vie. Mais à quoi bon montrer du doigt quelqu'un d'autre que soi-même car tout ce qu'un homme vit c'est parce qu'il l'a peut-être choisi.

Midi. Je me lève et prends mes affaires sous le bras. Je me hisse sur chaque marche,portant mon fardeau sur mes épaules, j'ai l'impression d'être Jean Valjean lorsqu'il cherche un abri dans ''Les Misérables'' de Victor Hugo. Ici, dans notre monde, tout est différent, c'est dans ce monde que tu comprends ce que veut réellement dire : '' Qui va à la chasse perd sa place''.

Je me promène dans les rues sans rien dire, les passants s'écartent ou changent de trottoir quand ils me voient. Rien. Rien n'est pareil ici. C'est un autre monde avec des couleurs, des parfums et des textures différentes. Tout est différent de ce carrelage froid et dur du souterrain.

Le soleil se cache derrière des nuages sombres qui annoncent un mauvais temps qui se prépare. Même le temps me rejette. Cependant les passants commencent à s'abriter seulement quand les premières gouttes de pluies perlent sur leurs joues. Des femmes courent avec leur homme à leur bras. Des enfants rient à gorge déployée quand ils sautent dans une flaque d'eau. Je reste planté là, sous la pluie, à les regarder partir de tous côtés. Mes cheveux plaqués sur mon crâne me rendent encore plus minable, plus... Misérable.

Je préfère retourner dans mon antre.

La journée se termine, la plupart des personnes disparaissent peu à peu.

J'ai de plus en plus froid, mon corps n'est plus capable de me porter. Les secondes m'abîment, les minutes me torturent et les heures me déchirent. Je n'ai qu'une envie... Dormir. Ce sommeil profond qui enveloppe tout le corps, tout l'être de la personne même son âme dort en paix.

La soirée se refroidit,plus le temps passe, moins je sens les parties de mon corps. Certains auraient peur. Moi, non. Je n'attends plus rien de cette vie à part le repos. Je me laisse glisser sur le sol. Étrangement, il n'est plus aussi froid et dur que je pensais. Je trouve même ce sol douillet, confortable, doux. Je ferme les yeux. Je ne sais plus pourquoi j'avais cherché ça dans mon ancienne vie. Je sais juste que je le sais... En moyenne, il y a 8 personnes par seconde, qui,dans chaque station de métro du monde, prennent une rame de métro. Je me suis toujours dit depuis ma nouvelle vie que je finirais ici. Et aujourd'hui, je peux le dire.

Il y aura une personne en moins dans cette station.   

Les chemins qui s'entrecroisent ... Où les histoires vivent. Découvrez maintenant