Songes Silencieux

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Je l'entend, oui je l'entend,  de si loin que cela doit sans doute se trouver à des milliers d'années-lumière, mais je l'entend.

Cette douce mélodie si énigmatique arrive jusqu'à mes oreilles, traverse mon âme avec délicatesse et enveloppe mon corps de ses bras harmoniques. Cette mélodie ne m'était pas inconnue, au plus lointain de mes souvenirs, je l'entrevoyait qui résonnait doucereusement dans mes tympans. Je l'ai déjà entendue à plusieurs reprises, mais je ne pourrais déterminer d'où elle venait. Alors que les notes de plus en plus nuancées se chevauchent dans une atmosphère de calme et de mystère, arrive un point culminant où j'émerge et ouvre les yeux.

Allongé dans une position inconfortable, je languis sur le sol glacé de ce terrible endroit. Je me trouve dans une cellule de prison qui m'enveloppe de ses longs bras de fer depuis si longtemps que j'en ai perdu toute notion de temps. Dans les prison, le bruit n'a plus de porté, on ne peut plus s'entendre parler, chanter ou tout simplement entendre ce son qu'émet notre respiration et qui nous certifie que nous sommes en vie, c'est un lieu où l'on est condamné à vivre dans un silence éternel et vierge de toute émotion. Dans les prisons, on ne peut se permettre d'être triste ou même de verser une larme, les murs nous les arrachent aussitôt et ne nous laisse qu'avec ce corps vide, sans sourire, sans rire, sans fantasmes, sans idylles, sans coeur, sans joie de vivre. Tout cela ne devient plus que des souvenirs oubliés. Mais cette fois-ci, quelque chose de tout simplement hors-du-commun se produisit : éveillé, je continuais d'entendre cette lointaine mélodie, cette délicate hymne qui continuait de faire exister son énigmatique musicalité dans les airs. Après une éternité plongée dans le silence et le néant, j'entend du bruit.

Je me redresse et me laisse alors guider par la musique. J'avance naturellement vers le son, et mon visage vient alors brutalement se heurter aux longs barreaux de fer qui faisaient de moi un prisonnier. Je les fixe attentivement, mais je perçois quelque chose de plus fort dans cette mélodie, quelque chose de plus profond, elle ne fait pas seulement que me guider, elle m'aide.

« la seule limite est celle de l'esprit », ces mots résonnent dans mon esprit, je ferme alors mes paupières et tout à coup disparaissent successivement les barrières qui se trouvaient devant moi et dans mon esprit. Dans ma quête de cette mélodie, des souvenirs abstraits vinrent lentement émerger, mais jamais rien de concret. Puis je finis par la trouver, au milieu de ces ténèbres morbides, c'était elle.

Elle jouait du piano au milieu de cet enfer, elle faisait voyager ses doigts agiles sur les touches et faisait tournoyer sa mélodie dans un enchaînement d'accords mélodieux. Oui cette mélodie, je la reconnaissais, cette mélodie qui a bercé mon enfance, mon enfance que l'on m'a arraché trop vite, cette mélodie qu'elle chantait à mon chevet pour me protéger des démons qui tentaient de m'arracher d'elle. Les larmes vinrent à mes yeux lentement.

C'était elle... Maman.

Je la regarda jouer pendant un certain temps, me laissant emporter par les notes qui caressaient mon âme et faisait émerger des sentiments que je croyais nouveaux, mais qui n'étaient en fait qu'oubliés. Alors elle se lève, s'approche de moi, et me contemple attentivement de ses yeux scintillants et bienveillants :

« Maman, est-ce bien toi ?

- Plus ou moins, mais peu importe... Approche, je vais te parler mon fils.

Elle me tend sa main que j'effleure consciencieusement, de peur de la briser comme de la glace.

- Oh maman si tu savais, j'aurais tellement de choses à te dire, mais tout est si vide et si chaotique ici. Je souffre tellement, je voudrais tellement pouvoir te revoir, te reparler, je voudrais pouvoir t'entendre encore jouer... Les larmes me gagnèrent, remplirent mes yeux et m'empêchèrent de poursuivre.

- Ecoute bien mon chérie, aucun de tes souvenirs ni de tes émotions n'ont disparu, ils sommeillent toujours en toi, et c'est ça qui te maintient en vie.

- Pourtant ils ont bel et bien disparu, je ne comprend pas, que m'est-il arriver alors ?

- Tu as cru que l'on pouvait te déposséder de ce qu'il y a de meilleur en toi, que l'on pouvait t'arracher les raisons pour lesquels tu t'es efforcé de vivre : ta joie, ton rire, tes rêves. Tu as cru que l'on pouvait réduire ton esprit à l'état de néant, et y dérober tes pensées, ton imagination, ta fantaisie. Tu as cru que l'on pouvait te plonger dans le silence au point que tu ne t'entendrais plus respirer. Mais sache que rien ni personne ne pourra jamais te retirer ce que tu as de plus cher, ce qui forge ton esprit, ce qui fait que tu es la personne que tu es aujourd'hui. Retrouve tout cela en toi.

- Maman...

- Maintenant il est temps de partir.

- Maman ? Non maman attend ! Je t'en prie, ne pars pas, j'ai encore tant de choses à te dire, reste par pitié. Ces mots résonnent dans mon esprit plus fort que jamais, mais ils ne sont pas prononcés.

Tout à coup, je me sens toute chose, je m'efface progressivement du décors et vient lentement regagner mon corps. « Retrouve tout cela en toi. » sont les mots que je prononce quand je me réveille. Je suis toujours au sol, mes émotions sont toujours aussi distantes et les lieux sont toujours aussi silencieux, mais la mélodie continue de se jouer, et elle se joua continuellement, avec ses délicates notes et ses harmonieux accords, ce bruit qui se jouait toujours dans mon esprit et qui me maintenait en vie se joua éternellement. J'étais emprisonné, mais au fond de moi, j'étais libre.

"Quelle musique, le silence !"

                  

Jean Anouilh

Songes SilencieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant