LA CASCADE

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La nuit fut courte et étrangement intense : jamais le prince n'avait vu les montagnes du désert resplendir à ce point. La lune les baignait d'ivoire, et dans les anfractuosités des parois d'infimes fragments brillaient en un firmament vertical de part et d'autre de son chemin. De joyeuses reluisances glissaient avec lui le long des falaises, comme de minuscules génies des roches qui accompagnaient et encourageaient sa course. Les ombres étaient si longues et si profondes qu'elles paraissaient vivantes, et plus d'une fois le prince vit la sienne hocher la tête, comme pour lui signifier qu'il était toujours sur la bonne voie. Bientôt un grondement sourd et régulier se fit entendre: le prince crut d'abord à un nouvel éboulement, et jeta un œil alarmé sur les hautes falaises qui l'entouraient. Voyant que rien ne se passait, il se rassura et songea que ce bruit devait provenir de plus loin, car il était calme et permanent : peut-être y avait-il, quelque part devant lui, une rivière qui traversait l'Allée. Il poursuivit sa progression jusqu'à un changement dans la lumière : le jour se levait déjà, la nuit n'avait duré qu'un court moment.

Comme il avançait entre les falaises, le bruit s'amplifia : quelque chose d'immense devait se trouver devant lui, tout près. Bientôt il arriva face à une nouvelle vallée, à peine plus grande que celle des squelettes, au bas de laquelle se trouvait un large bassin d'eau où se déversait une haute cascade. Au-dessus des vapeurs où le soleil levant projetait de petites sphères lumineuses s'élevait un escalier d'eau vrombissante remontant jusqu'au sommet d'une imposante montagne. Ébloui, le prince s'approcha du rebord et manqua de basculer dans les eaux tourbillonnantes: de part et d'autre, dans des renfoncements de la paroi, de petits torrents s'engouffraient et filaient vers d'autres recoins insoupçonnés de l'Allée, quelque part derrière les hautes murailles de pierre. La cascade tombait avec fracas dans la cuve bouillonnante, et semblait d'une puissance épouvantable. Doucement, le prince se pencha sur les eaux remuantes : elles étaient peu profondes, car sous son reflet il voyait onduler le fond pierreux. L'aube semait sur toute cette scène une rassurante atmosphère de magie, comme si des puissances bienveillantes avaient mené le prince jusqu'ici pour lui montrer ce miracle. Mais il savait se méfier des beautés et des terreurs enchanteresses de l'Allée des Rois, car il avait appris qu'elles n'étaient souvent qu'un rideau destiné à lui masquer ce qu'il était vraiment venu chercher.

C'est à ce moment qu'il aperçut autour de son reflet des formes chatoyantes qui fluaient et refluaient dans le remous des eaux. Adil Jahid songea d'abord à d'étranges poissons, mais les rayons du levant qui pénétraient la surface des eaux lui révélèrent bien vite qu'il s'agissait de pierres précieuses, si précieuses qu'il n'en avait jamais vu de telles dans tout le royaume. Il y en avait de toutes couleurs, tant et si bien que le prince crut y voir des couleurs qui n'existaient pas, et elles étaient si nombreuses que dans toutes les mines du royaume on n'aurait pu en puiser autant en un siècle. Et il y avait aussi, parmi les joyaux, d'autres objets encore plus brillants qui ressemblaient à des pépites d'or, d'un or si pur et scintillant qu'il n'en devait exister nulle part de semblable sur la Terre. C'étaient là des richesses qui surpassaient de loin toutes celles de ses ancêtres : une seule poignée de ces pépites aurait suffi à nourrir tout son peuple pendant plusieurs saisons ; une seule de ces pierres aurait suffi à bâtir un palais plus vaste et somptueux que celui de son père. Le prince se souvint des légendes qui couraient sur l'Allée des Rois, disant que celui qui parviendrait au bout de l'Allée et en reviendrait vivant apporterait paix et prospérité à tout le royaume. Il n'avait qu'à saisir ce qui lui était offert pour devenir le roi le plus fabuleux que son pays eût jamais connu. Mais ce n'était pas là ce qu'il cherchait.

Ce qu'il cherchait se trouvait de l'autre côté de cette cascade : de cela, Adil Jahid était sûr, tout comme il était sûr que s'il tentait de traverser la chute d'eau rugissante, il serait broyé plus vite que sous les pierres. Etait-ce encore un piège que lui tendaient les assassins de ses ancêtres ? Les yeux plongés dans la masse d'eau tempétueuse, il songea aux paroles de son père.

Souviens-toi de ceci, Adil : le métal de la couronne n'est rien, seul compte le métal qui est en toi.

L'Allée des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant