Chapitre 1

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   Les flammes ondulaient gracieusement autour des bûches noircis au centre du foyer de pierre. Il l'avait bien réussi cette fois, Louis. Louis rate toujours ses feus. Enfin, c'est ce qu'il dit : depuis son arrivée au camp, Ramest l'a toujours entendu dire "Putain, encore raté :  il n'y a que le journal qui brûle" ou encore "Qui m'a foutu des bûches aussi humides !" Oui, Louis est un peu nerveux, et l'est un peu tout le temps. Louis utilise pour ses feus des allumettes, du papier journal périmé d'au moins une semaine, de grosses bûches et de plus petites bûches que tous vont chercher le dimanche dans la forêt et du charbon noir. Très noir, laissant des traces quand Ramest le frotte contre le sol ; il a déjà dessiné avec. Mais les dessins au charbon sont tristes. Ils sont ternes et ne ressort que la couleur de la pierre qui lui sert de toile. 

   Ramest aime dessiner. Avec des craies de couleurs, sur le tableau de la salle d'école, ou encore simplement dans la boue, avec un bâton. Il aime dessiner l'éphémère ; un dessin constant n'est pas intéressant : on pourra s'en occuper plus tard puisqu'il sera toujours là. Non, dans la boue, chaque minute compte car ça coule la boue, donc un soleil peut devenir un nuage pluvieux en quelques secondes. Il n'est pas très intelligent, Ramest, mais il sait tout ça. C'est Paula qui lui a apprit.

   Paula, c'est une artiste. Elle n'est pas très grande, a des cheveux bruns qui virent sur le roux, et elle dessine avec tout. Elle dessine même avec la pluie : laissant des formes avec des feuilles sur le sol, elle attend qu'il pleuve pour que le lendemain, on découvre en retirant ses feuilles un pochoir sec magnifique. Ramest aime beaucoup Paula. Il la regardait. Elle était là, assise au bord du feu, regardant les flammes qui ondulaient gracieusement  autour des bûches noircis. Peut-être imaginait elle elle aussi un dessin avec du charbon, un dessin triste. 

   Il y avait Brook, en face de Paula, de l'autre côté du feu. Lui, il fixait Paula. Sa petite moustache naissante le vieillissait, lui qui a seulement quinze ans. Il l'aime bien aussi Paula mais pas pour le dessin ni l'art. Pour quelque chose de différent, quelque chose que ne comprend pas Ramest, et qu'il ne veut pas comprendre. Brook et ses cheveux frisés décoiffés, Brook et sa chemise à carreau, Brook et son long pantalon sans ourlets... Si sa maman voyait Ramest avec un pantalon comme ça... Mais ce Brook n'a pas l'air de se soucier de ce que pense la maman de Ramest : il fume avec les grands, écoute de la musique violente et sa touffe brune est toujours recouverte d'une casquette, même quand il n'y a pas de soleil. Brook dessine aussi, mais pas de belles choses. Des choses laides, permanentes, sur les murs, sur les pierres, avec ses bombes de couleurs qu'il secoue avant de marquer son territoire. Paula dit que c'est de l'art aussi. Ramest pense plutôt que c'est du roulement d'épaule, comme il le fait tout le temps, le Brook, lorsqu'il regarde Paula. 

  Louis était fier de son feu cette fois. Et il avait de quoi : tout était parfaitement harmonisé dans un concerto de grincements de bois crépitant. C'était parce que Louis est un musicien. Enfin il joue du keyboard, mais pas de piano ; de la guitare électrique, mais pas d'acoustique; il sait chanter, mais qu'en criant. Il appelle ça la "vraie musique". Et il joue sa "vraie musique" avec Brook, qui joue un peu de batterie, mais surtout avec Jam's. Jam's, il était assis un peu plus loin des autres autour du feu. Jam's, il a une autre idée de la "vraie musique". Il joue du saxo. Il en joue diaboliquement, des heures entières, avec comme accompagnement une musique qui sort de son téléphone. Il improvise. Ses doigts se promènent à une vitesse folle sur les touches cuivrées qui laissent échapper de l'air de temps en temps. Quand on lui demande comment il a toujours cette inspiration, il hausse les épaules et dit "Le saxophone prolonge mon cœur" avec son accent antillais. Il vient des Antilles, Jam's. C'est loin les Antilles. Là-bas il y a toute sa famille. Il les abandonnés pour venir au camp. C'est peut-être ce à quoi il pensait  en fixant le feu ondulant gracieusement autour des bûches noircit.

    Les autres, Ramest ne les connaissait pas trop. Certains sont grands, d'autres plutôt gros, un peu comme lui d'ailleurs. Ils viennent tous d'endroits différents mais fixaient tous les flammes, la tête lourde de pensées profondes. Ramest avait posé sa tête contre la pierre derrière lui. Et, bercé par la pyro-musique de Louis et les bruits de la nuit, il s'était endormi.


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   Garton Butercourzt descendit de la voiture, fit un signe de main au chauffeur, et claqua la porte. L'auto s'éloignant alors, l'homme, valise en main, regarda le panneau qui était suspendu au dessus de sa tête. Il était de retour au camp, six mois après "l'accident". Enfin, ce qu'on allait bientôt appelé "l'affaire du camp Watersand". Garton Butercourzt était un trentenaire rondouillard au pantalon trop court. Il se déplaçait avec une démarche plutôt maladroite, esquivant un déséquilibre dut à son poids tout les deux pas. Des petits pas, proportionnels à ses jambes rondes, mais plutôt rapides. C'était un anglais. Un anglais de Manchester pour être exact. Sa valise à main était assez lourde, et l'homme monta les marches s'enfonçant dans le petit bois bordant la route avec beaucoup de difficultés. Evidemment , il n'y avait personne pour venir l'accueillir : il n'était pas attendu. Des gouttes de sueurs tombaient du haut de son front sur son gros menton dégoulinant sur son col de chemise. Garton renifla, emportant toute sa moustache dans le geste. Il était en haut des marches, en face de la grande plaine du camp Watersand. 

    Le camp Watersand était le domaine du baron Halmet, un américano-allemand aillant fait fortune dans le commerce d'huile de palme en Indonésie. Son fils Ludwig Von Halmet et lui vivaient dans un gigantesque manoir, au Nord de la pleine, surplombant tout le terrain. En contre-bas, les différents sentiers s'éloignant de la route principale s'étendait sur différents bâtiments : une grosse serre en verre, de laquelle de nombreuses plantes exotiques étaient prisonnières ; une tourelle annexe, servant de cuisine pour les pensionnaires du camp ; das Gasthaus, le gros chalet desservit lui directement par la route principale, lieu de vie des pensionnaires, chambres, salons, salles à manger. 

    Garton connaissait tout ça. Il était venu il y a un an déjà pour entamer l'une des plus grosses arnaques du siècle. Une arnaque à soixante million de dollars canadiens.

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⏰ Last updated: Apr 04, 2018 ⏰

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