11

173 34 64
                                    

          Auto-destruction.

          Ou, se faire du mal à soi-même. Dans mon cas, une... mutilation psychologique ?

Plus je vivais, plus je sombrais dans les ténèbres, où elle m'entraînait. Sûrement pour ne pas être la seule à braver cette obscurité trop pesante, ce cri lancinant de souffrance pure, cette mort.

            Voilà l'origine de tout, une perte affreuse, subite, déchirante. Étrange, comme point de départ. Et pourtant, elle rythmait ma survie depuis bientôt deux ans, me maintenait à la lumière juste assez pour que je ne me noie pas, mais m'entraînait désespérément vers les sombres profondeurs. Durant ce laps de temps, je n'avais rien fait. Mon existence stagnait comme l'eau croupie à la surface d'une mare translucide.

         Parfois, je me sentais prêt à soulever des montagnes, indestructible, attendant que le changement s'empare de tout mon être. Mais la plupart du temps, je voguais entre deux états : la mélancolie absolue et la tristesse ravageuse. Rien d'autre ne comptait que ressasser des souvenirs dévastateurs, imaginer comment ma vie aurait pu être si seulement...

          Si seulement elle l'avait voulu.

          Oui mais voilà, ma maigre volonté de l'époque, mon amour sans faille n'avaient pas suffit. Elle voulait plus. Non, elle voulait tout. Son désir ardent de posséder tout ce dont elle avait envie, puis la lassitude qui s'emparait d'elle dès qu'elle l'obtenait nous avaient détruits.

Par « nous », j'entendais ce couple que nous avions formés, et pas « nous » dans le sens, elle, moi ; nous deux séparément. La preuve, elle vivait, sans moi, et profitait d'un bonheur que je ne comprenais pas, qui m'échappait. Habitée par une fragilité que j'aurais aimé connaître, comprendre, accepter, il lui arrivait de me faire de l'ombre. Elle me cachait la lumière, me tendait une main que je saisissais sans hésiter, et m'entraînait à sa suite dans le Tartare.

Elle s'était transformée en harpie durant ces si longs mois où je l'avais oubliée, où je l'avais perdue de vue. J'avais cru qu'elle n'aurait pas changé, mais je me trompais, et guettais toujours la personne qu'elle avait été. J'espérais, encore, du plus profond de mon être, de toutes mes tripes, la retrouver inchangée. Déclencher ce qui pouvait l'être afin de la ramener auprès de moi, aimante et acceptant d'être aimée.

Cette naïveté, encore plus que la perte, était un poison pour ma carcasse presque vide. Il rongeait mes os sans relâche pour parvenir à mon cœur, cette masse de chair qui ne faisait plus que me maintenir en vie. Parce qu'il lui appartenait. Il était vain de soupirer après elle, mais je le faisais pour ne pas oublier ce que nous avions un jour partagé. Le souvenir était devenu mon ennemi.

Tapi dans un coin de mon esprit, il jaillissait lorsque je m'y attendais le moins pour faire s'effondrer mes si maigres défenses. Elles étaient d'ailleurs inutiles face à elle, mais servaient d'ultime rempart à tous mes regrets. Eux aussi étaient cachés en moi, prêts à assaillir mon pauvre cœur, presque devenu son pauvre cœur.

Mon corps était en train de devenir le réceptacle de ce qui me tuait.

J'étais mon propre ennemi.

À un souffle de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant