Menuet de Tritons

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Et soudain, Persan changea. Ce n'était plus la même depuis cet événement. Armelle se serait crue dans quelque étrange film apocalyptique. Même le ciel semblait refléter la couleur de cet événement : étrange et terrifiant.

Les instruments de musique avaient pris vie ! Tout commença lors d'un concert où les fausses notes fusaient de plus en plus nombreuses puis interrompu par la fuite des instruments. Tous, sans exception. Même ceux enfermés dans la réserve avaient réussi à enfoncer la porte.

Dès lors, ils jouaient, à travers les rues, des notes stridentes, des accords infernaux.

Le ciel était bas, de sorte qu'instinctivement, Armelle se baissa d'un bond en sortant de chez-elle.

Il y avait une chose qu'elle ne comprenait pas : alors que même les instruments de musique qui se trouvaient dans les habitations avaient pris vie, elle, pendant ce même laps de temps jouait. Mais son violoncelle n'avait pas changé de quelque sorte que se soit. Il était resté un instrument au son doux et agréable.

Cela faisait maintenant deux jours.

Il était difficile de se rendre à l'extérieur car les fausses notes emplissaient l'atmosphère. Cependant il fallait bien se ravitailler...

Les rues étaient désertes. Tous les habitants restaient cloîtrés chez eux. Seul de temps en temps on pouvait voir une voiture passer à toute allure.

L'ambiance sonore restait insoutenable. Même les bouchons d'oreille ne suffisaient pas à empêcher le passage aux tympans des affreuses notes distordues jouées par des instruments aux allures diaboliques, dansant ou courant de manière effrénée juste sous votre nez. Et ajoutez à cela leurs regards de braise et leurs sourires malfaisants.

Ce jour là, elle entendit une mélodie. Une vraie mélodie ! Pleine de douceur, d'esthétique et d'accords parfaits ! Du violoncelle ! Elle courut à l'endroit d'où venait le son : sur la place de la mairie.

C'était Guilhem, un autre élève du conservatoire. Il jouait du Jean Sébastien Bach, un de ses grands classiques. Armelle remarqua avec étonnement sans moins de plaisir que les instruments animés qui avaient le malheur de passer par là, étaient figés et reprenaient leur aspect originel.

Après s'être parlés un court instant, et Armelle ayant expliqué qu'elle pouvait elle aussi jouer de son instrument, elle courut chez elle et revint avec son violoncelle.

Et ils jouèrent. Se postant, étape par étape au milieu de toutes les avenues, de toutes les rues, de toutes les impasses. Et sur leur passage, les instruments animés tombaient les uns après les autres.

Petit à petit, le bruit, ou plutôt ici en l'occurrence : le son, a couru et d'autres instrumentistes se joignirent à leur démarche : Marie de la flûte à bec, Florian du cor d'harmonie, Idriss de la mandoline, Gabriel de la guitare, et j'en passe... Que des élèves pratiquant l'instrument depuis un bon nombre d'années. Des vétérans en quelque sorte...

Ils se dispersèrent dans la ville, et, avec des mélodies douces ou grandioses, mystérieuses ou dansantes, réinstaurèrent le calme et l'ordre dans la ville.

Au fur et à mesure de leur passage, le ciel s'ouvrait, prenait des couleurs moins violacées pour aboutir en fin de journée sur un accord parfait : un crépuscule orangé, et une pleine lune majestueuse avec à son côté, Jupiter, éclatante de lumière. Quand ils entendaient les instrumentistes passer, les persanais sortaient de chez eux et s'occupaient de ramasser les divers instruments qui traînaient un peu partout.

Sans violence, ils avaient vaincu alors que la police avait projeté de détruire un à un les instruments. Mais heureusement, le directeur du conservatoire s'y était formellement opposé.

Sans violence ? Enfin presque. Pour certains violoncelles récalcitrants, Armelle et Guilhem avaient dû les attraper et les dompter avec leur archet. Bizarrement ce n'étaient que les violoncelles qui résistaient...

Ils vinrent à bout de leur tâche au bout d'un jour et d'une nuit... Blanche... Ils étaient exténués. Et après une sieste bien méritée, ils furent récompensés pour leur acte. Une belle cérémonie pompeuse toutefois un peu maladroite du fait de ce rapide dénouement.

Après cela, on put assister à une conversation entre Guilhem et Armelle :

« Tout est bien qui finit bien ! déclara cette dernière.

- Je n'en suis pas si sûr.

- Et pourquoi ça ?

- Ce qui s'est passé n'est pas normal et ça m'étonnerait que cela se termine comme ça. C'était trop facile.

- Ah ! N'importe quoi ! T'es juste pessimiste ! »

Et elle saisit son violoncelle, joua quelques notes...

Fausses.

Menuet de TritonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant