Le masque de Noël

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Je me souviens... Lorsque j'étais enfant, Noël était quelque chose de merveilleux pour moi, une période de l'année où tout le monde esquissait un sourire, où le bonheur frappait à votre porte et n'hésitait pas à entrer, où les rues brillaient grâce à lui. Les éclats de rire familiaux nous soudaient encore davantage. Les lumières des rues, le passage des gens, les chants de Noël, le blanc éclatant de la neige... Tout ceci rendait Noël joyeux et extraordinaire. Puis j'ai grandi... Le voile opaque devant mes yeux qui rendait la réalité moins dure, ce que l'on appelle l'innocence, avait disparu. La vision de Noël s'est alors ternie. J'ai compris tout ça lors d'un Noël particulier. J'arpentai les rues en admirant les flashs procurés par les divers néons de la ville puis j'ai aperçu une fille, une belle inconnue, qui représentait une fracture dans ce décor si paisible, si faux... Elle portait un masque. L'étrangeté de celui-ci était son sourire figé, il changeait suivant la façon dont vous le perceviez, si vous y faisiez longuement attention, alors il devenait triste, mais, si vous le regardiez comme un passant, alors il souriait à s'en exploser la mâchoire. Pour ma part, je l'ai regardé longuement, sans m'arrêter... Puis j'ai décidé de le lui enlever ce qui n'a pas été chose aisée, elle avait pris l'habitude de se cacher, de ne pas affronter le regard des gens. Lorsqu'il fut retiré, elle ne put s'empêcher de verser des chaudes larmes, même un flocon qui est venu s'écraser sur sa joue n'a pas pu résister face à ce torrent. La froideur de l'hiver et de Noël s'était emparée d'elle, elle n'avait plus l'habitude qu'on se préoccupe d'elle, elle arpentait les rues seule lorsqu'elles étaient désertes. Je la trouvais très attachante, elle avait quelque chose de... différent, son honnêteté m'avait transpercé le cœur, c'est une valeur qui s'étend peu lors de cette période. J'apprenais à la connaître et chaque seconde qui succédait à l'autre était encore meilleure que la précédente. Elle m'avait fait prendre conscience de l'hypocrisie qui régnait à Noël. Qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. Elle m'avait conseillé d'observer l'obscurité des ombres délaissées par les gens, qu'on en apprenait davantage qu'en regardant leurs visages. Que ces gens-là cachaient leurs intérêts derrière des masques, que cela pouvait être de l'égoïsme, de la cupidité, du profit ou tout autre chose mais que ce qui était sûr c'était que la bonté avait désertée. Je suis donc resté dans son monde, je m'y trouvais plus en sécurité car le mensonge était un luxe dont nous n'en éprouvions nul besoin. Je l'aidais à surmonter toutes les épreuves qu'elle pouvait rencontrer en échange d'un sourire franc, spontané, signe d'une tristesse évaporée, rien que ça, ça me suffisait amplement, du moment qu'il n'était pas faux. Le problème de la froideur de l'hiver c'est que le bonheur ne peut pas y subsister, il finit toujours par se glacer, se briser puis fondre. C'est donc pour cela qu'un soir, à l'apogée de notre bonheur, alors que je tenais sa main fermement, le brouillard s'est emparé d'elle, je sentais encore sa main dans la mienne, je sentais ses larmes percuter ma main, j'entendais ses cris puis, plus rien. Sauf ce masque. Elle avait disparu dans ce brouillard, loin de moi, me laissant seul au milieu de tout ça, de toute cette fausseté. Les pavés des rues brillaient encore mais ça n'était plus grâce aux néons de la ville mais grâce à la lumière de la Lune. Les rues étaient désertes, enfin non, il y avait moi... Au milieu de cet infini, infiniment seul. J'étais seulement accompagné par le souvenir de ces derniers instants, ces merveilleux instants. Et puis, j'ai rencontré un ami fidèle qui dès lors ne me quitterait plus, il s'appelait Espoir. J'ai vécu avec lui l'attente de la revoir un jour, j'ai longuement rêvé ce moment, ce moment où elle surgirait de nulle part en me disant «je suis revenue, tout est finie». Mais non, j'enchaînais les jours sans elle, je vivais dans l'imagination, dans les «et si», je me sentais ailleurs, tout le temps ailleurs, tout le temps seul même lorsque j'étais accompagné avec cette gorge serrée. De temps en temps il m'arrivait de sourire, généralement lorsque je la voyais sourire dans ma tête, elle vivait désormais à travers moi. L'importance qu'elle représentait pour moi était semblable à aucune autre, et c'est pour cela qu'à chaque Noël j'ai le cafard, car je repense à elle, à sa disparition, je pleure à n'en plus finir, je me noie dans mes sanglots, mais c'est Noël, alors je me cache derrière ce qu'il reste d'elle, son masque, celui qui ne fait plus qu'un avec ma figure, qui me défigure, que je ne peux plus retirer. Désormais, je me cache, loin des autres, loin de tout ça, en vagabond j'arpente ces rues, en sanglots derrière un sourire car j'ai compris. J'ai compris que le bonheur chaleureux auquel j'aurai pu accéder a fui comme un lâche dans cet épais brouillard en prenant soin de me laisser dans le froid de l'hiver et la chaleur de mes larmes. Le plus dur a été d'en prendre conscience, prendre conscience que finalement on ne peut pas être heureux, Noël est toujours là pour me le rappeler alors que j'entends encore les inconscients qui se baignent dans leurs rires faux n'ayant pas été touchés par le poignard de la vérité. Mais j'espère toujours la revoir, sans cesse, je pense que je ne vis plus qu'à travers ça car désormais il n'y a plus qu'elle qui puisse me comprendre. Je sais que l'attente me lacère et me blesse mais je continuerai ainsi, comme je l'ai toujours fait, de toute façon j'ai la meilleur arme qui soit, le meilleur atout, ce masque derrière lequel je me cache, je paraîtrai toujours fort et intouchable comme elle le faisait autrefois. Je la revois parfois, dans mes rêves, je suis devenu un drogué du sommeil, je fuis la réalité constamment car l'irréel est devenu beaucoup plus attrayant et je la revois, là, dans ce monde moins lugubre, je pose ma tête dans ses bras en admirant son sourire qui se situe à côté des étoiles et qui me réchauffe le cœur, lui, qui est glacé durant l'éveil. La beauté de ce monde est que j'en suis le créateur, il arbore mes volontés sans pour autant pousser celles-ci à l'excès, ma principale volonté est la plus simpliste qui soit, je supprime seulement le moment où on m'a séparé d'elle, il n'y a plus de masque, plus de faux semblants, seule la pureté de l'âme réside. Noël n'existe plus dans mes rêves, je ne veux pas subir l'aigre parfum de la réjouissante hypocrisie, je ne veux plus connaître sa froideur, son obsession de me pousser au malheur, ce désir de me priver de ce que j'ai de plus cher au monde. Mais tout ceci n'est qu'une belle utopie n'est-ce pas ? Je sais bien que ce monde, tout comme l'autre, finira par s'écrouler. Mais pourquoi faut-il que le plus beau des deux dépende du plus mauvais ? Pourquoi faut-il toujours que je jongle entre me cacher et me révéler ? Si le destin n'existe pas, alors pourquoi on m'impose une disparition que je n'ai pas souhaitée ? Où se situe la constante ? Je sais déjà que ces questions demeureront sans réponse mais pourtant elles m'obsèdent, à longueur de journée, je ne peux pas faire autrement, ou alors si, je me cache, lorsque j'ai ce masque je les fuis mais est-ce une solution ? Est-ce que je me sentirais mieux pour autant ? Je ne pense pas... Je pense que je m'engouffre dans quelque chose que je ne pourrai bientôt plus contrôler, cette chose si instable de laquelle je finirai par tomber et où la chute causera de lourdes séquelles... Je me raccroche éperdument à cette illusion avant que la réalité ne me rattrape. J'ai toujours rêvé de la libérer de la prison de mes rêves pour enfin pouvoir la voir de jour au lieu de la voir de nuit. Si seulement je pouvais lui donner la clé... Si seulement je savais où elle est... Elle s'est retrouvée piégée dans mon monde et moi dans le sien. Pourtant, je sens sa présence, à chaque grain de sable qui se dérobe dans le sablier du temps, comme si elle était là sans y être pour autant, c'est très étrange... J'avance dans ses rues comme un pantin sans vie, je ne distingue plus les autres, seulement leurs ombres, le froid m'immobilise. Je sais qu'elle aurait aimé que je reste fort mais c'était elle ma force, aujourd'hui je perds l'envie, mes dernières forces je les use à crier, à hurler, pour faire entendre à quel point elle me manque mais la seule réponse qui me revient c'est mon écho. Petit à petit, à mesure que le temps avance, ses traits s'effacent dans mes rêves, elle devient sans visage, je crains de l'oublier complètement, j'ai peur... Je ne suis plus en sécurité nulle part, si je la perds, j'aurai définitivement tout perdu. Mais où est-elle ? Cherche-t-elle à me retrouver ? Est-ce que je compte autant pour elle qu'elle compte pour moi ? Mon esprit me torture avec ces questions, je pense que ce sont elles qui causeront ma perte plutôt que cet épais brouillard qui m'enveloppe. J'aurais aimé qu'il me dérobe moi aussi, qu'il m'emmène ailleurs, loin d'ici, loin de ces souvenirs mais je suis pris au piège. Cet ami, Espoir, n'est-il pas finalement mon ennemi ? Il me souhaite souvent de belles choses mais je suis pourtant sûr qu'il sait que toutes ces choses sont irréalisables alors pourquoi me torturer de la sorte ? Pourquoi jouer avec mes envies ? Je préfère encore abandonner cet «ami» qui me torture, abandonner ce masque qui attire mes pensées vers elle, je ne veux pas l'oublier mais je ne veux pas avoir mal, comment faire... Fabriquer un autre masque ? Le mien, celui qui m'est propre, celui qui accompagnera le sien. Le mien serait représenté par un sans visage, car ça me correspond davantage, un masque vide, derrière lequel on ne peut rien deviner, ni malaise, ni bonheur, ni colère, ni rien. Avec le temps, je pourrai l'enlever car mon visage aura pris l'habitude d'être sans expression aucune. Je me baladerai au milieu des autres, effacé, je me fondrai dans leurs ombres, j'apprendrai à les connaître dans le silence mais il me restera un problème. Si je peux contrôler ma conscience, il n'en va pas de même pour mon inconscient. Je la verrai toujours dans mes rêves car la revoir n'est pas qu'un souhait, c'est bien plus fort, elle est une partie intégrante de mon équation, il s'agit de mon inconnue. Seulement, comme toute équation, le résultat est nul, la solution à tout cela n'est qu'un vaste espace lacunaire, elle n'existe pas. Bienvenue dans l'impasse de mon destin, si vous aspirez à trouver une quelconque issue, je vous invite dans mon carnaval, mon monde n'est qu'un masque.

Le masque de Noël.Where stories live. Discover now