L'histoire d'une femme

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Elle rêvait d'être une femme. Elle rêvait de porter des robes, des jupes, des soutiens-gorge et des petites culottes sans être jugée. Elle rêvait de laisser ses cheveux pousser et de vernir ses ongles sans être regardée avec malveillance. Elle aurait aimé être une femme mais son entourage et la société méprisaient la transsexualité. Ses parents disaient même que c'était une maladie. Elle ne voulait pas les contrarier et encore moins les décevoir. Alors convaincue de ne pas être normale, certaine d'être coupable de ne pas être celle ce qu'ils croyaient être, elle cacha son désir le plus profond tout au fond d'elle, là où personne ne pourrait le remarquer, en espérant d'elle-même finirait par l'oublier.

Pendant de nombreuses années elle camoufla sa véritable identité et vécut comme ses parents aimaient qu'elle vive. Elle s'habilla "comme un homme"; se comporta "comme un homme"; et se fit des amis "hommes". Elle ne se rapprocha jamais des femmes, à part pour les draguer et les siffler "pour rire" avec les copains. Tout ce sexisme la dégoûtait et elle aurait beaucoup aimé sympathiser avec elles. Elles lui ressemblaient tellement !

Mais son rêve était sa raison d'être et elle continuait à survivre, cachée et malheureuse, avec l'espoir qu'un jour elle pourrait enfin exister. Malheureusement, le temps passait et rien ne s'arrangeait. Son rêve lui sembla bientôt inaccessible. Elle n'avait plus d'utopie, sa vie n'avait plus de sens. Ne voyant plus l'utilité de rester dans ce monde qui lui paraissait hostile, elle voulut partir au ciel, rejoindre son chat et son grand-père, les seuls qui autrefois la comprenaient. Toutes les autres personnes qu'elle avaient rencontré à la suite de leur mort étaient intolérantes et cruelles. Parce que ce qu'elles ne comprenaient pas, elles ne l'aimaient pas. Au moins, là-haut  personne ne la jugerait se disait-elle. On lui avait toujours dit que les anges étaient asexués.

Avant de sombrer dans un sommeil éternel, elle se connecta pour la dernière fois à son haïssable univers pour écrire un mail d'adieu à sa famille. Dans sa chambre il n'y avait plus de papier. Elle avait noircit toutes ses feuilles immaculées de ses idées noires pour ensuite les rouler en boule et les faire brûler dans l'immense cheminée, l'hiver quand elle se retrouvait seule à la maison.

En alluma son ordinateur portable et cliqua sur l'icône de son navigateur web. La page s'afficha avec son logo et sa barre de recherche mais aussi la météo et l'actualité. Le titre d'un article attira son attention :
"Nouveaux droits pour les transexuels"
Elle consulta le billet.
Elle découvrit que son désir n'était pas une maladie. Que d'autres enfants, adolescents ou adultes ressentaient la même chose qu'elle. Que des associations militant pour leurs libertés existaient. Qu'elle n'était pas seule.

Ces révélations lui donnèrent du courage et de l'assurance. Elle contacta la présidente d'une de ces organisations dont les locaux se trouvaient près de chez elles.
Celle-ci l'encouragea à se révéler à sa famille et ses amis.
Alors, un jour, remontée à bloc, sûre d'elle, convaincue qu'elle avait le droit de vivre son rêve sans se cacher, elle s'habilla de vêtements dits féminins, se coiffa de barettes et descendit manger avec ses parents et son jeune frère ainsi parue.

Son père et sa mère lui crièrent des insultes qui lui brisèrent le coeur tandis que son petit frère, ne comprenant pas pourquoi ses proches en apparence si unis se balançaient des horreurs pareilles, plaqua ses minuscules mains contre ses oreilles, et se mit à pleurer à chaudes larmes. Quand ses tuteurs la chassèrent de la maison, et qu'elle s'enfuit dehors à pas rapides, sanglotante et détruite, il tenta de la retenir. Mais ses géniteurs l'arrachèrent à elle et le ramenèrent à l'intérieur. Ils claquèrent la porte derrière eux.

Elle rejoignit le bâtiment où était installée l'association à laquelle elle s'était liée. Elle y arriva essoufflée, fatiguée, la mine déconfite, les yeux rouges et bouffis, et les cheveux défaits. Des jeunes adultes lui ouvrirent. Ils la firent entrer dans une pièce simple, meublée de fauteuils et de canapés modernes d'un joli gris clair, la firent assoir sur l'un d'entre eux et la prirent doucement dans leurs bras. Une fille vêtue simplement d'un jean skinny et d'un t-shirt blanc lui murmura à l'oreille avec tendresse et conviction :
"Garde espoir. Un jour tu verras, nous changerons le monde."

L'histoire d'une femmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant