D A E G A N

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Je sais qu'en racontant cette histoire, je m'expose à l'humilité. Je sais qu'une minime partie d'entre vous me croira. Outre les plus créatifs, l'humanité a désormais besoin de preuves pour croire un fait. Des preuves de la vérité, il est facile d'en donner, autant des preuves de l'inverse. Avec un peu de confiance et de persuasion, il est simple de convaincre quelqu'un d'une idée.

Je n'ai pas eu une enfance facile, mais j'ai eu une enfance heureuse. Mon père était professeur d'art plastique et ma mère, et bien ma mère était partie après ma naissance. Papa ne parlait d'elle que très rarement. Il m'avait expliqué qu'elle ne pouvait pas s'occuper de moi, que cette vie n'était pas faite pour elle, mais il ne m'avait rien dit de plus. Je ne l'avais jamais rencontrée. Elle avait choisi de m'abandonner et plus je me tenais loin d'elle, mieux je me portais. Alors mon père m'éleva seul, essayant de nous faire vivre avec son petit salaire. Il était gentil, mon père. Sérieux et calme, il avait cette lueur mélancolique dans le regard que j'aimais tant. Rêveur et trop créatif pour être compris par le plus commun des humains, il était toujours dans la lune et semblait parfois même dans une autre réalité. Sa propre réalité. Il touchait à tout ce qui ressemblait plus ou moins au domaine de l'imagination. L'art, il aurait pu s'y perdre.

Il s'asseyait souvent devant sa fenêtre et il regardait le ciel, les étoiles se reflétant dans ses yeux bruns. Il frottait ses poils de barbe avec ses doigts et semblait proie à une discussion avec lui-même. Moi, je me cachais derrière la porte et l'observait. Un jour, il me surprit à l'espionner. Et alors que je m'attendais à recevoir une punition, il sourit et me prit sur ses genoux. Là, il se mit à nouveau à observer l'extérieur.

- Tu regardes quoi ? avais-je osé lui demander.

- Rien, me répondit-il. J'essaie d'imaginer à quoi ressemble la vie dans le ciel.

Surpris, je lui demandai ce qu'il croyait qu'il y avait dans le ciel, à part des nuages et de la pluie.

- Des êtres, aussi vivants que nous le sommes.

- Avec des pouvoirs ?

- Avec des pouvoirs. Et des ailes pour voler et contrer le vent.

Les yeux brillants, je regardai à travers la fenêtre en espérant y voir un de ces êtres surhumains.

- Tu en as déjà vu un, toi ?

- Bien sûr, me répondit-il. Et elle était très belle.

- Décris-la moi !

- Elle avait des cheveux longs, noirs de jais et très frisés, comme les tient. Ses yeux était d'un vert si clair qu'on pouvait presque voir à travers. Sa peau... était douce et froide comme la neige, et elle avait un petit nez retroussé, comme le tient, répéta-t-il avec un petit sourire et le touchant du bout du doigt.

A ce moment-là, je compris qu'il parlait de ma mère. Mon père est fou, me dis-je en voyant son regard se perdre à nouveaux dans les étoiles. J'avais huit ans quand cela se passa. Et jusqu'à mes quatorze ans, je fus persuadé que mon père avait un problème. Il ne m'avait pas reparlé d'elle une seule fois, et je ne cherchais pas à en savoir plus. Je ne voulais pas le revoir à nouveau divaguer dans son imagination.

Puis un jour, le cancer frappa à notre porte. Il toucha mon père et avant que celui-ci ait eu le temps de se défendre, il le fit s'affaiblir plus que tout. Ses jours étaient comptés et je le savais. Il dut arrêter de travailler, et ce fut à mon tour désormais de faire à manger, d'entretenir notre petit appartement, de m'occuper de lui et d'assurer qu'il ne tombe pas à chaque fois qu'il allait aux toilettes. J'étais malheureux. Abandonné par ma mère, je savais que la seule famille qui me restait allait bientôt me laisser à son tour, tuée par la maladie. Je me taisais, seul dans mon coin, et je voyais mon père se dégrader un peu plus chaque jour. Et malgré tout, cette lueur dans son regard ne s'éteignait pas. Il me disait souvent : "quand je ne serais plus là, essaie de les retrouver. Essaie de les voir." J'acquiesçais mais n'écoutais que d'une oreille distraite, parce que je savais qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même, trop affaibli pour dire des choses sensées.

D A E G A NOù les histoires vivent. Découvrez maintenant