PeInt(U)rE

55 9 9
                                    

L'atelier du peintre était un étrange théâtre. De mystérieux personnages en peuplaient les toiles et nous faisaient face, silhouettes silencieuses et intemporelles, aux corps démesurément longs, où les jambes et les robes coulaient à l'infini, où les visages perdaient leur proportion sous le délicat pinceau de l'artiste.

Tout partait d'un fragment d'idée, d'une inspiration. Puis venaient les formes épurées et les aplats colorés, du noir aveugle au blanc sans nuances. Chaque touche était savamment déposée, chaque couleur recherchée. Dans l'espace de la toile, tout semblait à sa juste place.

Le travail de l'artiste était une autre scène, dans laquelle le temps n'avait pas de prise. Pas de fioritures ni d'intellectualisation pour le spectateur en quête de sens. Tout ce qui était donné était à ressentir. Le peintre se plaisait à brouiller les limites du réel. En défigurant les représentation, il nous invitait à nous déprendre du visible, du concret. La déformation des corps et des visages, les larges champs colorés étaient autant d'ouverture vers l'émotion. Nous prenions le temps de ce surprenant face à face, nous ouvrions les yeux pour éprouver ce que nous ne voyions pas.

Déterminé à aller à l'essentiel, de période en période, le peintre développait l'expressivité de sa peinture et sa singularité d'artiste. Il savait assurément ce qu'il voulait : suivre son instinct, son intuition première avec une entière bonne foi et le souci sage et sincère de se connaître et d'arpenter sa voie.

J'ose à mon tour affirmer une intuition : le peintre était en quête de lumière. Le peintre scrutait la lumière, rien que la lumière. La lumière comme expression vibrante d'une chaleur intérieure singulière née de l'exercice de la vie et de la peinture, de l'art. Rien que pour cela, ses toiles étaient l'oeuvre d'un plasticien en pleine possession de son art.

C'est dire que dans une discrétion totale, une délicatesse frugale, le peintre innovait, réinventait et s'effaçait. Émouvante posture de modestie qui secouait l'air du temps, pour lui accorder, un tant soit peu, la mystique qui lui manquait.


PeInt(U)rEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant