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          Tu aurais pu me tenir le doigt de tes petites mains, et j'aurais eu l'impression que je pouvais te casser à n'importe quel geste. Mais cela m'aurait empli d'amour, et non de crainte. Parce que je n'aurais pas connu de douleur, cette souffrance qui pulsait depuis dans mon esprit. Depuis toi.

          Tu aurais pu me sourire, et dévoiler une minuscule absence de dents. Ce vide aurait vite été rempli, au fil des mois, pour ensuite laisser la place à des trous, et ainsi de suite. Ainsi allait la vie. Et j'aurais fait n'importe quoi pour que ta bouche se plisse, s'écarte et me brise le cœur à chaque rire. Ou plutôt, qu'elle le rafistole.

          Tu aurais pu me regarder. Et j'aurais vu dans tes yeux un amour insondable, un amour capable de tout braver, un amour qui pourrait encore maintenant me guérir. Un amour qui t'aurait créé. Toi et tes yeux bleus - oui, ils auraient été bleus - vous m'auriez fixé jusqu'à ce que j'implose de bonheur. Je vous aurais passé chaque caprice, chaque orage.

           Tu aurais pu m'enlacer, plus tard. Et peut-être que j'aurais pensé à tous les autres hommes qui n'avaient pas connu cette chance. Avant de me raviser et de me dire que tu m'appartenais. Seulement à moi, et que je ne te partagerai jamais. Parce que c'était comme ça, tu étais en vie grâce à moi.

          Tu aurais pu me respirer, tout comme j'aurais humé ton odeur durant toute ma vie. Juste pour m'assurer qu'elle ne s'évaporerait jamais. Ce n'était pas un souvenir qui risquait de me quitter, et je l'aurais eue à mes côtés pour toujours. Chacune de tes inspirations m'aurait permis de ne pas m'asphyxier. Je n'aurais même pas inventé le concept de s'asphyxier soi-même, puisque je n'en aurais pas eu besoin.

           Et surtout, tu aurais pu vivre. Au début avec moi, puis à distance, peut-être en compagnie de quelqu'un d'autre. Mais j'aurais toujours été sur ton dos, à te rappeler que je t'aimais plus que tout : au moins jusqu'à la lune et retour. Je t'imagine levant les yeux au ciel, agacée comme le sont les adolescents, comme je l'ai été, et mon amusement face à cette réaction. Mais tu m'aurais enlacé parce qu'au fond, tu m'aimais si fort que les mots ne peuvent l'exprimer. Parfois, ils ne suffisent même pas à tout décrire.

            Et certainement pas ma tristesse à cet instant où j'écris ces lignes.

           Parce que tu ne m'as pas touché, souris, regardé, enlacé, respiré et aimé. Moi-même je n'ai pas pu le faire et ça m'a creusé un trou dans le cœur. Un trou si profond qu'il me fait faire n'importe quoi. Parce que j'étais à un souffle de te connaître et que je n'en aurais jamais l'occasion.

             Juste un souffle...

             Il ne manquait presque rien entre nous, pour qu'on se rencontre, qu'on ne se sépare jamais. Mais voilà, elle en avait décidé autrement, sans même prendre mon avis en compte, ou m'avertir de ses choix. Elle t'a arraché à moi avant que tu puisses devenir mon oxygène, avant que je puisse profiter d'un bonheur qui m'a été volé.

           Et le pire, c'est que tu es toujours là, à chacun de mes pas. Et que je t'aime sans même savoir à quoi tu aurais ressemblé, et que ton manque me bouffe vivant.

          Et le pire, c'est qu'elle m'a fait croire pendant deux horribles jours à un accident.

À Gravity

À un souffle de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant