Récit complet - one shot

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Je connais le Phillies depuis toujours ou presque.

Je n'étais qu'un gamin la première fois que j'y ai mis les pieds. Papa y picolait tout les soirs ou presque. Jusqu'à ce qu'ils interdisent l'alcool bien sûr. Maman a fait parti de ces femmes qui se sont battues pour que la prohibition soit imposée. Faut la comprendre, elle et les autres femmes qui battaient le pavé, allaient frapper à la porte des juges, et des députés, chez elles, y'avait un pochtron qui dépensait tout l'argent gagné dans les bars.

Les frangines et moi, on a grandi dans la misère avec maman qui nous expliquait que tout ça c'était la faute de papa, qu'il dépensait tout ce qu'il gagnait dans de l'alcool. Mais au fond, c'était les bars qu'elle estimait coupables et pas vraiment papa ou les autres ouvriers. Comment ils auraient pu dire non quand tout le monde faisait pareil ? J'allais tout gamin chercher papa, espérant ainsi que maman serait moins énervée, qu'on aurait un vrai diner en famille ou au moins, une soirée digne de ce nom.

A chaque fois, papa disait qu'il allait boire encore un verre, un dernier pour la route. En fait, il en avalait bien trois avant de se décider à rentrer, et encore, parce que j'étais là. Maman n'osait trop rien dire quand je rentrais avec papa. Et puis j'aimais bien le regard qu'avaient les autres hommes, la plupart papa eux aussi. Ils enviaient papa, parce que son fils tenait assez à lui pour oser aller dans les bars le chercher. C'était presque du respect que je lisais dans leurs regards.

Je crois que ça a joué. J'aurais pas mis les pieds aussi souvent dans ce bar sans cela. J'aimais le regard que je me jetais les adultes, alors je venais régulièrement chercher papa. Et puis il y a eu la prohibition.

Je me suis retrouvé devant le bar fermé. J'avais alors seize ans. Et je suis resté bêtement devant. J'ai entendu de la musique, assourdie, faible, mais présente. Alors j'ai zieuté, sous la porte, il me semblait percevoir de la lumière. J'ai regardé partout, et j'ai finit par trouver la porte de derrière. Celle-ci était ouverte.

Y'avait un type en costar, bien mis sur lui, un chapeau dont l'ombre dévorait le visage, et un sourire aimable, courtois. Il m'a regardé longuement avant de me demander ce que je faisais là. Je lui ai demandé si le Phillies était ouvert. Ça l'a fait sourire, plus encore. Il m'a fait un signe de la main comme pour m'inviter à entrer.

J'étais alors jamais entré, tout seul, pour boire je veux dire. Moi, fils d'alcoolique, je suis entré là dedans et j'ai regardé tout ce petit monde qui continuait ce qu'il faisait avant mais caché. Ils me paraissaient plus festifs qu'avant comme si l'interdiction les avait excités. J'ai regardé ce petit monde sans pour autant céder à l'appel de l'alcool. Quand je suis sorti, le type classe était encore là. Il m'a pas lâché des yeux. J'ai fini par trouver l'audace de lui demander qui il était.

Le mot mafieux n'est pas sorti de sa bouche, il n'a jamais parler d'illégalité ou de crime, simplement de rendre service à des gens, de permettre aux gens souhaitant s'amuser de le faire. Il a dit que partout ailleurs dans le monde, on buvait de l'alcool, et qu'il y avait même des pays où l'on faisait du très bon alcool. Il m'a proposé d'en goûter, j'ai refusé poliment. Naturellement, il m'a demandé pourquoi. Un ado de mon âge aurait dû se précipiter dessus, à priori, mais pas moi. J'étais accro au regard plein de respect, pas aux regards plein de pitié. J'imagine que c'est pour ça que j'ai ensuite bosser pour ce type qui était en réalité un capo.

Il n'y a pas plus respecté qu'un mafieux. Tout le monde vous donne des « monsieur », certains vous invite même à boire un café chez eux. Comme j'étais quelqu'un de plutôt correct, je me suis fait une petite place sans avoir trop à tabasser de gens. J'aimais pas ça, la violence. En revanche, je connaissais les alcooliques, du fait de mon père, du coup, je savais bien gérer les gens éméchés, et ceux ayant une tendance à la violence. J'arrivais à les calmer.

Avec le temps, l'âge d'or des mafieux s'est terminé. La prohibition s'est achevée et les mafioso se sont mis à trafiquer de la drogue. Ça m'intéressait plus trop. Je sais pas pourquoi, j'ai lâché l'affaire. Peut-être parce que j'estimais avoir assez d'argent ou parce que c'était mon histoire personnelle avec l'alcool, allez savoir.

Maintenant, je suis juste un homme d'âge mur qu'on connaît dans le quartier et qu'on respecte. Personne dans le quartier n'oserait me faire une crasse. Même les nouveaux qui me connaissent pas, ils sont pas tellement rassuré, du fait de ma réputation, d'ancien mafieux. Au fond, ça m'arrange. J'aime bien le fait qu'on me respecte.

Vous savez le regard qu'on porte sur un homme, c'est tout ce qui compte. La réputation c'est tout ce qui reste à la fin. C'est pour ça que j'aime bien aller à Phillies. Le bar n'est plus clandestin, et au final, y'a plus grand monde qui y va maintenant. Mais y'a encore le vieux Joe, qui sert les mêmes cocktails qu'autre fois. Je crois que j'y vais juste pour me souvenir de ce que c'était, à la grande époque.

Et ce que j'y bois ? Du café. J'ai jamais dérogé à ma règle. Jamais une goutte d'alcool.

NighthawksWhere stories live. Discover now