Narration 1.

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Tout le village avait été ébranlé par la nouvelle. La découverte du corps, ce petit corps ensanglanté de jeune homme trouvé à l'orée des bois, les avait laissé sans voix. Ils tentaient à présent de comprendre. Le gosse n'était pas de chez eux, ni des bourgades alentours. D'où venait-il alors ? Comment s'était-il retrouvé là, dans leur petit village de moins de cinq cents habitants ? Qui l'avait donc mis dans un état pareil ? Si jeune... Il n'avait pas plus de dix-huit ans. Il s'agissait d'un meurtre, supposèrent les badauds. Mais qui ? Quel genre de monstre fallait-il être pour faucher ainsi une si jeune vie ? Et si sauvagement... Il y avait du sang partout, dégoulinant des rochers sur lesquels reposait le cadavre, tombant gouttes à gouttes dans l'herbe fraiche du matin, quittant peu à peu le corps de son prioritaire. Ce corps qui ne ressemblait plus à rien. Lacérée de partout, sa peau blanche, si pâle qu'elle évoquait davantage un fantôme, était recouverte de sang. Était-ce uniquement le sien ? On ne savait pas encore. Déjà, la police investissait la scène de crime, repoussant les curieux, essentiellement des personnes âgées, hébétées devant toute cette violence.

Les flics ne semblaient pas très surs d'eux, c'était leur première grande affaire, en vingt ans de carrière pour certains. Jusque-là, majoritairement des petits vols ou de bêtes problèmes de voisinage. Et les voilà avec un cadavre sur les bras. Un foutu cadavre d'adolescent qui venait d'on ne sait où... Le commandant de la police rumina bruyamment en buvant une gorgée de son café. Voilà une bonne journée de merde qui commençait ! Il frisa sa moustache et aboya quelques ordres. Délimitant le périmètre et commençant à relever des indices, les officiers s'activèrent. À présent, on cherchait des réponses.

Non loin de là, quelques mètres plus haut, cachée dans le clocher de l'église, une jeune femme attendait, observant la scène. Alors, Val' était vraiment mort... Une larme dévala lentement sa joue. Sa faute. Sa jambe la faisait atrocement souffrir. Elle aurait dû crier pour alerter la police. Elle pourrait tout leur raconter, peut-être qu'eux comprendraient. Parce qu'elle, elle ne parvenait pas à comprendre. Comment en était-elle arrivée là ? Elle tournait cette question en boucle dans sa tête, tout en ressassant la nuit passée. Non, vraiment, elle ne comprenait pas.

Sa soirée avait débuté normalement, par une fuite de sa fenêtre. Âgée de 24 ans, Alice demeurait une grande enfant. Elle n'avait eu nullement le besoin de s'échapper par là, car son mari n'était pas chez eux ce soir, comme chaque fois qu'elle sortait, mais l'habitude demeurait. Cela lui rappelait son adolescence, lorsqu'elle faisait le mur presque tous les soirs, fuyant l'atmosphère étouffante de sa famille. Désormais, elle fuyait son mari. Elle ne s'en rendait pas compte alors, mais sa vie n'était faite que de fuites, de faux-semblants et de mensonges. Elle qui se sentait si libre en touchant le sol après avoir sauté par sa fenêtre ne se rendait pas compte à quel point elle était piégée de son existence qu'elle n'avait pas voulue. Elle s'était mariée très tôt, à 20 ans, avec un homme qu'elle s'était convaincue d'aimer, pour échapper à ses devoirs familiaux. Mais elle s'était rapidement aperçue qu'elle n'était pas amoureuse de lui. Sa voix, ses gestes, ses manies, son regard, tout, tout chez lui avait fini par l'énerver. C'est ainsi qu'elle avait commencé à le tromper. Elle se plongeait dans cette vague illusion de liberté avec ferveur, pour ne pas craquer. Ce n'était pas très moral, certes, mais la morale ne faisait que très peu partie de la vie d'Alice.

Elle marcha de quelques pas dans la rue, respirant l'air frais de la nuit et adressant un sourire profond à la lune. Elle sortit son téléphone portable de son sac à main, le seul accessoire qu'elle emportait avec elle lors de ses nombreuses sorties. Elle composa le numéro d'un de ses amants au hasard, attendit qu'il décroche et débita rapidement le baratin habituel : « tu me manques, j'ai envie de te voir, je veux que tu me prennes dans tes bras ». Il n'était pas libre ce soir. Elle raccrocha, soupira, en appela un autre, qui n'était pas disponible non plus, et répéta cette opération trois fois avant de laisser tomber. Elle leur parlait tout en marchant, si bien qu'elle s'était retrouvée à un pâté de maisons de chez elle. Il était évident qu'elle passerait la nuit seule, pourtant elle se refusait à rentrer. Ces derniers temps, les absences de son mari se faisaient plus rares. Elle ne savait pas quand elle aurait à nouveau un moment comme celui-ci et comptait bien en profiter jusqu'au bout. Elle décida donc de simplement déambuler dans la ville, se laissant porter par le destin. C'est ainsi qu'elle rencontra Valérian.

Val'se hivernale.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant