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Chapitre 16

N°5 : M'inviter à une fête:

Les lumières sont tamisées, la porte verrouillée, des paquets de chips et de cacahuètes éparpillés sur la table basse, tout est fin prêt pour notre marathon hebdomadaire. L'une des traditions chère à nos coeurs. Depuis que nous sommes en âge de rester seuls à la maison, nous passons tous nos vendredi soirs en solitaires de la même manière. Une série ou une trilogie, le sol du salon transformé en annexe du canapé grâce à une multitude de coussins, et de quoi rassasier nos estomac affamés. Si avec les années, il est devenu difficile d'innover en matière de choix télévisuel, Netflix a été un véritable raz de marée dans notre petit train-train. Grâce à cette plateforme, chaque semaine nous nous ouvrons à de nouveaux horizons. Comme ce soir, avec Jessica Jones.

Impatient, Luc envoie valser ses baskets dans un coin du salon et se laisse tomber lourdement sur le plus gros coussin. Il se dandine sur place en piochant une poignée de chips et appuie sur lecture sans même me demander si je suis prête. Peu importe. Je ne suis pas vraiment à la fête de toute manière. Je n'arrête pas de repenser au club de photographie, et à notre première réunion. Nous n'avons pas attaqué le vive du sujet, le professeur ayant souhaité que nous nous présentions, chacun notre tour. Pour faire connaissance. En règle générale j'ai horreur de cette étape dans toutes les nouvelles classes que j'ai fréquenté. Mais une fois n'est pas coutume, j'ai joué le jeu, je me sentais en confiance avec les autres. Parce qu'ils n'étaient pas comme Madison et sa bande. Parce que, socialement, ils étaient au bas de l'échelle et que je me sentais supérieure à eux.

Alors, quand est venu mon tour de prendre la parole, j'ai affiché un grand sourire et j'ai donné mon nom à l'assemblée. Comme s'il se suffisait à lui-même, et que tous allaient être surpris de ma présence. En réalité, je les ai vu échanger des regards interrogateurs, comme s'ils me voyaient pour la première fois. Ça été une bonne leçon d'humilité. Moi qui pensais me trouver au milieu de l'échelle sociale, a revu ma place a la baisse. Mais le pire, ça été quand Tommy Mullighan s'est penché vers moi et m'a dit:

- Emmy ?

- C'est Jamie.

- Oui, pardon. T'es la copine de Luc Peters, non ?

Non seulement celui qui se fait appeler "La tâche" ne connait pas mon nom, mais il ne me reconnait qu'au travers de mon meilleur ami. J'ai essayé de garder bonne figure pour ne pas montrer que j'ai eu l'impression de me prendre une claque, mais en réalité, c'est ce qui m'a le plus perturbée. Et depuis que nous sommes rentrés, je n'ai pas pu me sortir cette idée de la tête. Luc est plus populaire que moi.

Est-ce que ça a toujours été le cas ? Ou je n'en prend conscience que maintenant que mon statut social m'intéresse ?

Je l'observe en coin, prendre une poignée de cacahuète et la porter à ses lèvres sans même regarder ce qu'il fait, en en mettant autant au sol que dans sa bouche et j'essaye de comprendre. Qu'a-t-il de plus que moi ? Nous sommes pratiquement des jumeaux séparés à la naissance. Nous avons le même humour, les même goûts et les même références. Mais nous sommes perçus de différentes manières. Il bénéficie d'une sorte de popularité qui lui est propre, tout le monde connait son nom, tout le monde l'apprécie. Alors que moi ? Je suis invisible, même pour le "Club des Losers", comme les appelle Cooper. Je ne comprend pas. Et pire que tout, je crois que je suis jalouse. Sans avoir à faire le moindre effort, Luc obtient ce que je n'aurais jamais. Même si j'y consacrais toute mon énergie et ma volonté.

Malgré mes efforts, je n'arrive pas à penser à autre chose. Les mots de Tommy tournent en boucle dans mon esprit, bientôt rejoints par les paroles de Madison, ses coups bas et les pics que me lance sans cesse Cooper. Qu'est-ce que je croyais ? Qu'il me suffirait de changer de vêtements et de m'asseoir à la place de Madison pour me retrouver propulsée à son niveau ? Quelle idiote.