Chapitre 1. Chin-Hae

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Je regardais paisiblement le petit chaos qui se déroulait devant moi. Le vent glacé du début novembre agitait l'eau d'un étang près de la rivière Pothong et les centaines des fleurs Lotus qui reposaient dans la superficie de celui-ci. Les fleurs, oscillantes, ondulaient sur la surface de l'eau et se cognaient les unes contres les autres. J'essayais de profiter de ce rare spectacle: Il n'était pas commun de voir des Lotus à cette époque de l'année. La température glaciale de novembre avait emporté avec elle toute forme de nature. Peu importe, cela me détendait de voir la résistance de cette fleur magnifique. Surtout dans des journées comme celle-ci: on avait reçu la marchandise en retard et cela me rendait anxieuse. Je me permetais jamais de faire la moindre erreur. Lorsque tu vis dans une société qui te surveille à chaque instant et veille à ce que tu suives toutes les règles, tu sais qu'une seule petite erreur peut te coûter la vie. Je fais partie d'un groupe clandestin en Corée du Nord qui rêve d'une Corée unie et libérée. On sait qu'il n'y a pas d'arme plus puissante que les idées et la sagesse, c'est pour cela que l'on veut y parvenir en partageant le savoir du monde extérieur qui nous a été interdit. La littérature, la poésie, la musique, les tableaux artistiques... les nouvelles du monde, des idées révolutionnaires. Voilà le vrai pouvoir de l'humanité. Nous, les Lotus bleus, front pacifique de la réunification, n'appuyons ni le Juche, ni l'impérialisme américain puisque tous les deux ont causé trop de tort dans l'humanité. L'on se réunit pour partager avec les gens des idées que l'on veut appliquer dans le monde pour le rendre meilleur.

Le reflet d'une splendeur m'a brusquement fait retourner dans la réalité. Mon coeur a sursauté. C'était les lumières d'une voiture militaire qui s'approchait à grande vitesse. Consternée, j'ai regardé la maisonnette où mes amis se trouvaient. Il était impossible de cacher toute la marchandise avant que les gendarmes n'arrivent. Mes pensées se bousculaient les unes contre les autres dans ma tête, ce qui ne me permettait pas de réagir de manière efficace. Je me suis finalement jetée par terre et j'ai commencé à ramper vers la maisonnette, qui se trouvait à une vingtaine de mètres de moi. La terre était froide et humide, le vent était glacial, j'avais mal au corps et mon coeur tentait de percer ma poitrine. Le bourdonnement du moteur de la voiture m'accablait et rendait mon désespoir de plus en plus grand.

Je suis entrée à travers la porte et, haletante, j'ai crié à mes amis de se cacher.

- Quoi...?

Avant qu'ils aient pu poser une question, le reflet des lumières avait envahi la chambre, ce qui expliquait mes cris.

D'un geste rapide, Jin-ho a couvert ma bouche de sa main et m'a poussé vers la petite chambre d'urgence où l'on avait construit un trou dans le plancher avec de l'espace suffisant pour que deux personnes s'y cachent.

- On ne peut pas laisser Tae-yong et Yu-Seok tous seuls....

- Je sais. Toi, tu te caches, Chin- Hae. Moi je dois aller les rejoindre...

- Non...

Je savais qu'il était inutile d'essayer de le faire changer d'avis, parce que de toutes les façons, on s'était fait prendre. Des options, on n'en avait pas. La mort s'approchait à grands pas malgré toutes nos précautions. À travers mes larmes, j'ai vu le visage attristé de Jin-Ho. Il a caressé mon visage et s'est approché pour me faire un baiser qui fut plutôt un frôlement rapide de lèvres.

J'aurais peut-être pu le convaincre de rester avec moi. Mais je sais qu'il ne se serait pardonné d'avoir laissé nos deux amis tous seuls. Je n'ai pas essayé de lutter pour nos vies cette nuit-là puisque les histoires de courage en Corée du Nord ne finissent jamais bien. Je n'ai pas voulu écouter les vociférations des gendarmes lorsqu'ils ont trouvé les trois Lotus Bleus qui étaient entourés par des boîtes. Je n'ai pas voulu entendre les coups sourds des fouets sur les corps des trois jeunes. Je n'ai pas voulu entendre les gémissements de douleur de Tae-Yong, de Yu-Seok... de Jin-Ho. J'ai pris ma tête dans mes mains et j'ai mordu de toutes mes forces mon bras gauche. Je ne pouvais pas supporter cette douleur de perdre mes bien aimés. Je n'ai pas voulu accepter la mort cette soirée-là, pourtant, elle était arrivée puis rentrée sans permission, comme elle a toujours l'habitude de faire avec chaque citoyen de ce pays misérable. 

VIVE LA CORÉE RÉUNIFIÉEWhere stories live. Discover now