Tu es là. Je te vois, tu sais. Tu me tournes le dos, la main dans tes cheveux blonds, riant aux éclats. Je ne peux m'empêcher de te trouver beau, comme ça. Tu bouges au ralenti, figé dans le temps, comme si mes yeux refusaient le fait que tu sois en mouvement. Tu portes les mêmes vêtements que ce jour là. Jean blanc, chemise bleu clair. J'y ai cousu un petit oiseau rose, à ta demande. C'est ta préférée d'ailleurs, hein ?
Ne crois pas que je l'ai oublié ! Je m'en souviens. Tu me l'avais avoué à mi - mot, un soir, dans notre chambre, dans notre lit, ton corps nu pressé contre le mien. Tu me l'avais chuchoté, en me félicitant, en me répétant combien tu l'aimais. Je pense que c'était surtout parce que c'est moi qui l'ai fait, que tu la portes hein, salop ? Que tu la préfères. Pas parce qu'elle est belle. Je souris.Tu me parles, mais je ne t'entends pas. Tes lèvres me font envie tu sais ? Moi, je sais que je ne peux pas. Alors je les observe encore et encore, ne me souciant pas de ton regard sur moi. Pour une fois, tu ne me feras aucun reproche, alors je préfère en profiter. D'habitude, tu n'aimes pas que je te regarde.
Ta main viens se coller à ta nuque : tu es gêné, cette fois. Tes lèvres se scellent, mais ça ne change pas grand chose, puisque je ne t'entends plus depuis longtemps. Tes yeux me fixent, brillants. C'est d'abord ça qui m'a attiré chez toi. Tes yeux. Tes beaux yeux bleus. Je m'apprête à ouvrir la bouche pour te le dire, mais ça ne sert à rien. Et puis, tu le sais déjà, hein ? J'en ai même fais une chanson, de tes yeux.
Je retiens un ricanement amer. Pathétique, parfois, l'amour.Mel et Mira se jettent sur moi, t'ignorant complètement : elles ont faim. Et elles savent que je peux y remédier.
Je te laisse dans le salon et vais remplir leur gamelle. Je les caresse longuement, passant et repasser le dos de ma main sur leurs poils soyeux. Elles sont tellement importantes, pour moi, si tu savais. J'ai envie de les protéger, de les garder enfermées, comme un immense trésor. Mais je n'ai pas le droit de leur garantir la sécurité si je dois leur prendre la liberté. Un peu comme avec toi d'ailleurs. Tu es tellement libre, en quelques sortes.Je reviens finalement dans la pièce. Tu as changé de place et tu es assis sur le canapé, maintenant, le visage tourné dans ma direction. Ta lèvre inférieure est retroussée, et je sais ce que ça veut dire. Tu veux un bisou. Tu veux que je t'embrasse. Et je le veux aussi, si tu savais ! Mais tu sais aussi que je ne peux pas. Et c'est pour ça que tes yeux brillent, n'est ce pas ? Les miens aussi, tu sais.
Je m'assois à côté de toi, le regard dans le vide. Et je ferme les yeux pour ne plus voir les tiens pleurer.Je te vois partout, maintenant, de toute façon. Partout. Dans le salon. Le parc de la ville. Au studio. Dans les salles de concert, même. Ton appareil photo autour du cou, parfois.
Je t'aime, bâtard. Tu le vois comme je t'aime ? Je parle toujours au présent, d'ailleurs, tu as remarqué ? Je parle au présent, parce que c'est la seule façon que j'ai trouvé pour ne pas m'effondrer totalement. Je parle au présent, parce que pour moi, tu es encore là. Il le faut. Je parle au présent, parce que je refuse d'accepter que tu es mort. Tu es mort, Andy. Et je suis seul, comme un con, à te voir partout, à parler au présent. Et à t'aimer, encore et encore.