Narration 6.

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Valérian vit rapidement que malgré son sweat, Alice frissonnait toujours et lui-même commençait à avoir froid. Regrettant déjà de n'avoir mît qu'un simple t-shirt sous sa veste, il proposa à Alice de trouver un coin où ils pourraient se poser à l'abri du vent hivernal. Ils ne marchaient donc plus uniquement par plaisir, mais avec un but bien précis en tête. La jeune femme finit par lui indiquer une vieille grange à l'abandon, dont la porte demeurait grande ouverte. Il hésita un peu, se demandant si tout cela était bien légal, mais une bourrasque de vent glacial sur ses avant-bras nus le fit définitivement changer d'avis.

À l'intérieur, il faisait toujours froid, mais au moins le vent ne les atteignait plus. Valérian s'assit sur un tas de foin et se mît à l'aise comme il put, Alice le rejoignit bientôt. Une fois installée à côté de lui, elle voulut lui rendre son haut. Il refusa d'un sourire.
—Je n'ai plus trop froid et tu en as plus besoin que moi, insista-t-elle.
—Je ne te l'ai pas prêté pour le récupérer tout de suite, garde-le, vraiment.
Elle restait le bras tendu vers lui, le vêtement à la main, l'air déterminée à ne pas lâcher l'affaire. Il soupira, prit la veste, la déplia, la posa sur eux telle une couverture, puis se tourna vers Alice, tout sourire :
—Madame est-elle satisfaite ?
—J'avoue que ce n'est pas comme ça que je voyais les choses, mais c'est pas mal non plus !
—J'ai toujours d'excellentes idées, tu le découvriras bien vite !

Il rit à sa propre blague puis se sentit honteux de sous-entendre ainsi qu'ils passeraient beaucoup de temps ensemble. C'était ridicule, il ne devait être qu'un gamin à ses yeux. Un simple enfant qu'elle avait trouvé par hasard en se baladant et qu'elle avait embarqué à contrecœur parce qu'elle ne savait pas comment se débarrasser de lui sans le blesser. Il n'était qu'un idiot. Un imbécile, un stupide adolescent qui n'avait rien de spécial à mettre en avant. Comment aurait-elle pu le voir autrement ? Pourtant, il se trompait. Il ne cachait pas ses sentiments qu'on pouvait presque tous lire sur son visage et elle appréciait cela. Sa franchise lui plaisait, son humour la touchait déjà et il y avait cette sensibilité en lui qu'elle rêvait tant de découvrir. Elle n'était certes pas amoureuse, mais ça n'était pas grave car il ne l'était pas non plus. Le temps n'avait pas fait son affaire et peut-être était-il encore un peu trop jeune pour elle, mais plus tard, s'ils avaient pu, sans doute...

Remarquant son trouble, Alice demanda à Valérian si tout allait bien.
—Oui, ne t'en fais pas.
Il fuyait son regard, toujours honteux. Honteux d'être lui-même et de ce début de sentiments qu'il sentait poindre au fond de lui.
—J'ai fais quelque chose de mal ? insista Alice d'une voix douce.
—Non, c'est moi qui suis bête, n'y fais pas attention.
Elle rit, comme s'il s'agissait d'une autre de ses blagues, puis se rendit compte qu'il était sérieux. Elle fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas comment il pouvait penser une chose pareille, ni pourquoi il était devenu si maussade, tout à coup.
—Tu es très loin d'être bête, tu sais. Je connais pas mal d'adulte, et crois-moi que beaucoup d'entre eux mériteraient que je les traite d'idiots, mais alors toi, non, clairement pas.
—Tu dis ça pour être gentille...
—Oh, arrêtes un peu tes bêtises !
Il rit.
—Qu'est ce que j'ai dis de si drôle ?
—Mes « bêtises», tu vois, tu l'as dis toi-même !
Il souriait de nouveau, amusé, et c'était le plus important. Elle plaisanta avec lui, ils rirent ensemble et la honte finit par lui passer.

Ils restèrent un moment à discuter dans le noir. Ils aimaient se parler tous les deux, ils ne se trouvaient toujours pas de point commun particulier, mais ils s'entendaient bien malgré tout. Ils apprenaient lentement à se connaître et ce qu'ils découvraient de l'autre leur plaisait chaque fois un peu plus. La nuit avançait, et dans quelques heures le soleil pointerait ses premiers rayons. Que feraient-ils alors ? C'est la question que se posa subitement Alice. C'était étrange, mais le fait qu'ils soient tout les deux là, entourés uniquement du silence et de la tranquillité nocturne, créait une atmosphère étonnante, lui donnant l'impression de flotter dans une nuit sans fin où ils auraient été seuls au monde, libérés de tout. Elle n'aurait pas su expliquer cette sensation, mais elle était bien présente et l'avait tenue éloignée un moment d'une réalité pragmatique qui aurait dû la pousser à réfléchir au lendemain.

—Dis Val', commença-t-elle, j'imagine que tu vas vouloir rentrer chez toi demain... Tu voudras qu'on se lève tôt pour te trouver un moyen de rentrer ?
—Comment ça, « me » trouver un moyen de rentrer ? Tu ne viens pas, toi ?
—Non... Je préfère me tenir loin de chez moi un moment, le temps que Richard avale tout ça. Mais toi, il faut que tu y retournes.
—Je n'en ai aucune espèce d'envie...
—Mais... Tu dois bien aller à l'école, et puis tes parents...
—Je crois que j'ai bien mérité un peu de vacances dans tout ça.
— Franchement, je ne sais pas...
— S'il te plait, juste une semaine, le temps que tout se tasse de ton côté et que je me repose du mien. Ensuite, on rentrera et tu n'entendras plus jamais parler de moi, si c'est ce qui te dérange.

Il commençait à prendre sa réticence comme un dégoût de sa personne. Il se demandait comment une femme aussi libre qu'Alice pouvait tant se soucier de la réaction de ses parents et il ne voyait pas d'autre explication en dehors de ce dégoût qu'il s'imaginait. En vérité, Alice ne comprenait pas trop non plus son propre refus, alors qu'elle avait tant envie qu'il reste avec elle. Elle sut soudain quel était ce sentiment nouveau qu'elle ressentait à l'égard de Valérian. De la culpabilité. Elle s'en voulait de l'avoir entraîné ici. Quelle adulte irresponsable elle faisait ! Elle aurait dû le reconduire immédiatement chez lui et mettre ses parents en garde pour qu'ils prennent soin de leur enfant.

Mais il y avait cette chose en lui, cette chose qui lui donnait l'impression pour la première fois de se comprendre elle-même, de comprendre véritablement qui elle était. Cette chose qui lui avait retiré brusquement le voile qu'elle se collait devant les yeux depuis des années pour ne pas voir l'ennui sans fond qu'était son existence. Et cela la fascinait, la sensibilité de Valérian la touchait tant car elle se retrouvait en lui, elle se découvrait et elle voulait en voir encore un peu plus. Un adulte raisonnable aurait refusé fermement la demande du jeune homme. Mais Alice l'accepta et le prit même au dépourvu :
—Tu sais quoi ? Je crois qu'en fait, je n'ai pas envie de rentrer du tout. On a qu'à rester par ici tant qu'on pourra. On verra bien ce qu'on fera ensuite.
—Tu es... sérieuse ?
—Oui. Faisons-nous plaisir, on l'a bien mérité.
Le semblant de sourire revint, mais Alice ne le différencia pas d'un sincère cette fois-ci. Ce n'était pas nécessaire. Valérian connaissait suffisamment la vérité pour eux deux.
—D'accord, faisons comme ça, alors. Merci beaucoup, Alice.
Elle lui sourit puis bailla.
—On devrait peut être dormir un peu, sinon on sera épuisé demain, fit-il d'un ton doux.
Elle approuva et ils s'allongèrent donc l'un près de l'autre, toujours avec la veste comme unique moyen de se réchauffer.

Il attendit que le sommeil vienne l'emporter, ce qui n'arriva étrangement pas tout de suite malgré l'heure tardive. Il pensait qu'elle dormait depuis longtemps lorsqu'il entendit sa voix s'élever dans la grange :
—Dis Val'...
—Hmm?
—C'est idiot, mais je ne t'ai même pas demandé, tu es amoureux de quelqu'un en ce moment ?
—Non.
—Ça tombe bien, moi non plus.
Il l'entendit bouger sur le tas de foin, puis il sentit un léger baiser sur sa joue. Elle se rallongea à sa place avant même qu'il n'ait pu esquisser un seul geste.
—Bonne nuit, Val'.
Et elle ne prononça plus un mot, s'étant déjà endormie.
—Bonne nuit, Alice, murmura-t-il pour lui-même.
Il la rejoignit quelques minutes plus tard au pays des rêves, perdu dans un tourbillon d'émotions confuses, mais définitivement heureux.

Val'se hivernale.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant