2 - Hésitations

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  — En Amérique, balbutia Hannah, prise de court. Mais, mais... Toute ma vie est ici...   

On l'aurait forcée à marcher sur le rebord d'un précipice qu'elle n'aurait pu être aussi paniquée. Un éclat légèrement similaire se mit à luire dans le regard d'azur de sa mère, bien que personne n'aurait su dire si c'était la perspective du voyage qui l'inquiétait ou celle d'y forcer sa fille. 

  — Chérie, déclara-t-elle sans parvenir à camoufler une infime fêlure dans sa voix, la seule chose qui te retienne ici c'est l'élevage de Pur-sangs. 

— C'est déjà beaucoup. 

La jeune fille se mordit la lèvre inférieure. Elle savait ce qui allait suivre, bien que ce fut toujours aussi difficile à entendre. Comme prévu, sa mère se racla la gorge, visiblement gênée, et glissa :

— Tu ne devrais pas tant t'y accrocher. Ni le domaine, ni les chevaux ne t'appartiendront jamais. Tout est à Georgie. 

Georges Keegan, héritier de l'élevage du même nom, avait pour seul avantage d'être né le premier et incontestablement doté d'attributs masculins. Les filles n'héritaient pas. Hannah ne pouvait s'empêcher de l'envier pour cette raison, bien qu'elle l'adorât en règle générale. Son frère était très gentil, mais il n'avait que faire des Pur-sangs ; tout ce qu'il aimait, lui, c'était le monde raffiné de la ville. 

— J'ai quelque chose qui pourrait t'intéresser, intervint alors Dustin McAvoy, ses yeux vert clair brillant d'une lueur indéchiffrable.

Au regard que lui jeta son épouse, il sembla évident que la mère d'Hannah n'avait pas été informée de ce détail. 

— Je ne vois pas ce qui pourrait m'intéresser davantage que notre élevage, maugréa Hannah, butée. 

Elle craignait cependant l'argument à venir de son beau-père, car il la connaissait suffisamment pour savoir toucher ses cordes sensibles. L'homme se rassit dans son fauteuil, satisfait d'être parvenu à piquer la curiosité des deux femmes.

— En termes de chevaux, l'Amérique est plutôt en retard, expliqua-t-il lentement, de sa voix grave et basse. Ils n'ont à leur disposition que des mustangs, des bêtes rustiques revenues à l'état sauvage qui n'ont ni la grâce ni la rapidité de nos Pur-sangs Anglais.

  — Raison de plus pour me retenir ici, lâcha Hannah, tout en voyant clairement où son beau-père voulait en venir. 

Comme elle s'y attendait, l'homme se redressa brusquement, comme en proie à une idée révolutionnaire qui n'attendait qu'eux. Il saisit la jeune femme au poignet et l'entraîna vers la fenêtre, de là où ils pouvaient contempler les magnifiques chevaux paissant en contrebas. 

— Hannah, Hannah... Pense au succès qu'auraient tes Pur-sangs de l'autre côté de l'océan. Nous sélectionnerions nos meilleurs étalons, les plus fières poulinières, et créerions le tout premier élevage du genre à l'autre bout du monde. Les anglais d'Amérique nous les arracheraient, se battraient même pour en acheter ; nous pourrions les vendre au prix fort. Nous ferions fortune !   

Hannah dut s'avouer que l'idée était fort tentante. Elle nota néanmoins : 

 — Si vous avez un enfant ensemble et qu'il s'agit d'un garçon, le problème sera le même pour moi. Rien ne m'appartiendra jamais. Dans ce cas, je préfère encore m'occuper de l'élevage avec Georgie.    

Même Hannah remarqua le regard qu'échangèrent sa mère et son beau-père, et surtout la différence entre les deux. Si celui de Grace McAvoy était plein d'espoir, les prunelles vertes de Dustin n'exprimaient rien d'autre qu'une froide résignation. Elle songea que sa mère était d'un âge trop avancé pour concevoir à nouveau et regretta son manque de tact. 

Ride, Baby, rideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant