CHAPITRE 3

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HELGA

Au début, seul le silence peuplait la place du village, plongée toute entière dans la quiétude pesante d'une attente, malsaine pour certains, douloureuse pour Helga. Puis la main qui tenait la torche s'abaissa et les flammes qui l'embrasaient vinrent lécher les brins de paille qui formaient un tas désordonné au-dessus du vieux puits dont on avait cessé de se servir avant même que la jeune femme ne vienne au monde.

L'explosion des sens commença alors.

Le grondement du feu se fit plus sonore et remplaça les menus craquements de protestation de la paille qui se consumait. Les flammes gagnèrent du terrain, toujours plus menaçantes, toujours plus ardentes, parant les visages des spectateurs les plus proches d'ombres et de lumières tremblantes. L'odeur fut plus longue à faire son entrée, mais reput si bien le nez des villageois de relents de chair carbonisée que personne n'eut même l'idée de lui reprocher son retard. La fumée s'éleva et envahit si férocement l'espace qu'elle parvint à se glisser jusqu'à la gorge d'Helga, qui se garda cependant bien de tousser.

Lorsque les cris débutèrent, elle faillit détourner les yeux. Mais la main sévère de son père entoura son poignet en un avertissement silencieux qui la força à garder la tête haute et le regard fixé sur l'âme en perdition sur le bûcher dressé par ses propres voisins. Je dois pas pleurer, se rappela-t-elle. Je dois tenir bon, jusqu'à qu'ça finisse. Pour ne pas avoir à voir la bouche tordue de douleur qui persistait à hurler, espérant peut-être que les eaux de la terre et du ciel se dressent et viennent la sauver d'une mort certaine, la jeune femme préféra contempler les arabesques que décrivait la colonne fumée qui montait dans le ciel, aussi noire que les vestiges que laisserait le feu qui lui prodiguait sa vigueur. La beauté du ciel dont elle brisait la quiétude veloutée était telle que toute perspective de déluge était prohibée, malgré l'insistance des prières qui, inaudibles aux forces naturelles, continuaient à venir se perdre dans les oreilles d'Helga.

J'pourrais, pensa-t-elle soudain. J'pourrais y faire quelque chose. Sauf que ça n'inciterait que mieux le destin à la pousser au devant de troubles bien plus grands qu'un bûcher dressé pour un, elle en était la première consciente. Et la voix qui, mauvaise, le lui rappelait avec une ironie mordante était presque aussi forte que les appels désespérés qui résonnaient toujours sur la place. Cependant, avant que ses occupants n'aient pu s'en agacer, le feu se chargea de les faire cesser. Les lèvres fines disparurent derrière un rideau de flammes et, même si des cris s'étaient acharnés à continuer d'en sortir, la douleur et l'air devenu irrespirable auraient suffi à leur régler leur compte.

Le spectacle devint alors moins dérangeant. Le brasier brûlait encore mais, la raison morbide qui l'avait poussé à être allumée, il l'avait engloutie et peu en subsisterait lorsqu'il se tarirait. Si l'arôme de chair carbonisée n'embaumait pas la place avec opiniâtreté, ardu aurait été pour un étranger de différencier le crime d'un simple feu de joie. Et cela dégoûtait Helga plus que ne pourraient jamais le faire les odeurs, les sons et les couleurs de cette sinistre mise à mort.

Δ

Plus tard, c'est devant une toute autre sorte de feu qu'Helga trouva refuge, une barre de métal coincée dans la paume afin de molester les bûches de temps à autre. Elle sentit quelqu'un s'asseoir à ses côtés sur le petit banc de bois qui faisait face à la cheminée et adressa un pauvre sourire à Barnabé qui la jaugeait avec inquiétude. Son front luisant de sueur et ses joues rouges donnaient l'impression qu'il aurait préféré se trouver partout ailleurs que face à l'âtre illuminée, mais il n'en demeura pas moins assis avec elle, son écuelle de soupe à la main.

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