Aujourd'hui j'ai froid. Bon ça ne semble pas être exceptionnel étant donné que j'ai tout le temps froid, mais je ne sais pas ce qu'il se passe. Là, il ne s'agit pas uniquement des extrémités mais de mon corps dans son intégralité. Un courant glacial me parcourt de part en part. Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je ne suis pas malade et bien couverte. Lorsque je suis habillée ainsi, j'ai toujours chaud, à bonne température corporelle en fait. Mais là, l'inquiétude me gagne. L'incompréhension est de plus en plus grande, je cherche mais je ne vois toujours pas. C'est en tentant de bouger que je me rends compte que je suis dans l'impossibilité de le faire. La panique me gagne, que se passe-t-il ? Pourquoi ne puis-je plus effectuer le moindre mouvement ? La perte de ma chaleur et de la possibilité de bouger me fait penser à un cauchemar, je vais me réveiller c'est une certitude. Oui, c'est cela, je vais sortir du sommeil dans lequel je suis entrain de vivre cette horreur. Je me rends compte, là, maintenant que ma phobie la plus profonde, celle dont je n'ai jamais réellement eu conscience fait surface.
Mais je ne comprends pas pourquoi. Ni pourquoi en étant dans mon sommeil, je suis à ce point fatiguée. Que m'arrive-t-il ? Toutes ces questions me mettent dans un état de terreur intense. On m'a toujours dit que j'étais trop cérébrale, que je me posais trop de questions, que je cherchais trop à tout analyser, à tout comprendre pour vivre auprès des autres. Toujours les mêmes reproches, ces reproches qui me minent le moral, me bouffent l'existence. Pourquoi ne m'a-t-on jamais réellement accepté comme je suis ? Pourquoi ne peut-on pas comprendre que nous sommes tous différents, et que ce n'est pas parce que je réagis différemment de la norme que je suis et dois rester le vilain petit canard qu'il faut cogner, peu importe la forme ?
Tiens, c'est étrange, pourquoi est-ce que je me pose ce genre de questions ? Alors que de base ce n'était pas ce qui m'inquiétais, m'interrogeais ? Comment se fait-il que d'une sensation de froid je passe aux questions existentielles qui mènent ma vie et mes souffrances ? Vous savez, ces souffrances qui vous collent à la peau, qui vous tiennent au corps et dont vous n'arrivez pas à vous défaire. Si ce n'est à les dissimuler au mieux mais qui vous rongent de l'intérieur. Je ne comprends pas pourquoi mon fil de pensées en arrive là.
Tiens, je commence à ressentir une douce chaleur, comme un courant d'air tiède. Et c'est là que je comprends que je suis toujours dans mon sommeil paradoxal. Sinon, comment cette femme au visage si doux, si accueillant serait-elle entrée dans ma chambre ? J'ai la certitude d'avoir bien tout fermé chez moi. Même s'il me semble avoir entendu des bruits sourds toute à l'heure, mais je n'y ai pas vraiment prêté attention en fait. Je me sentais déjà glisser dans mon sommeil. Je n'ai pas cherché à m'en sortir. J'étais si fatiguée.
Je ne peux pas m'empêcher de fixer cette femme. Elle est si belle, si souriante. Plus que je ne le serais jamais. L'ai-je déjà été d'ailleurs ? Belle et souriante ? Avenante ? Non, je ne crois pas. Du moins, je n'ai jamais entendu que l'on ait dit cela un jour de moi. J'ai plus souvent entendu les moqueries des autres, et puis, j'ai compris comment ne plus les entendre. Les livres, mon monde, une fois enfermée dedans, je n'entendais plus l'extérieur. Je ne ressentais plus ces violences, si douloureuses qu'il fallait sans cesse chercher à faire en sorte que personne dans ma famille ne s'en rende compte.
Cette femme me sourit toujours, elle m'observe. Tantôt d'un air grave, tantôt d'un air compréhensif. Du moins, c'est ce que je pense. Peut-être que je me trompe. Je ne sais pas. J'ai appris de mes erreurs passées. Ne pas montrer mes faiblesses. Mais de façon très étrange, j'ai l'impression qu'elle sait déjà tout. Cela me rend mal à l'aise. Je ne comprends pas. Qui est-ce ?
Elle me file des frissons et pourtant je n'ai plus froid. Cette femme est une magicienne. Mais au fond de moi, je sais qui elle est, et même si cela me soulage, j'ai peur.
Peur de la suite, y en a-t-il une d'ailleurs ? Ou vais-je réellement me réveiller ? Je ne sais vraiment pas. C'est très certainement cette incertitude qui m'angoisse. Pourquoi d'ailleurs ? Mes pensées s'égarent de plus en plus.
J'ai lu et entendu tellement de fois que lorsqu'on en était proche, on voyait notre vie défiler. Pourtant, de mon côté ce n'est pas ce que je vois. Mais plus une perception de mon existence. Dont je n'ai pas su me saisir. J'ai préféré y mettre fin plus tôt, sans chercher à aller plus loin. La peur que ces brimades continuent, que cette souffrance, cette violence, ne s'arrêtent jamais. Je ne me demande plus pourquoi, j'ai juste accepté. Accepté mon sort et mon choix. D'aucun me traiteront de lâche. Ce n'est pas grave, je ne suis plus en quête de cette reconnaissance qui m'a tant manqué. J'ai choisi. Et cette femme le sait, elle qui s'était agenouillée à mes côtés s'est relevée. Toujours souriante, en me tendant la main. La seule main secourable, sans aucune arrière-pensée, qui ne m'ait jamais été tendue. Je me rends compte que ma paralysie n'était due qu'à mon impossibilité d'accepter, même après mon geste. C'est l'arrivée de ma seule amie qui m'a permis de comprendre que c'était fini.
Moi, Delphine, je peux dire que j'ai rencontré la mort et que j'ai choisi de la suivre après avoir mis fin à mes jours. Ces coups sourds que j'ai entendu, n'étaient autres que le défibrillateur utilisé par les secours.
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Rencontre avec la mort
Truyện NgắnParler de sa propre mort n'a rien d'évident. Mais rencontrer la mort ne veut pas forcément dire que l'on va mourir même si c'est souvent le cas. Cette rencontre n'est pas toujours celle que l'on croit.