Chapitre 14 - Doutes

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Après de longues minutes à rire à gorge déployé, et à s'en casser la voix, le démon demeurait là, auprès de Kira qui n'avait pas bouger ne serait-ce qu'une phalange. Loin de vouloir la réconforter, il attendait que ses ailes deviennent aussi noires que les ténèbres dans sa tête, aussi sombres que le gouffre interminable dans lequel elle s'enfonçait à chaque seconde. Son visage se teinté d'une fierté sans précédent tandis que celui de la petite ange restait fermé, froid, sans vie, sans âme. Elle lui avait offert une cascade larmoyante de désespoir avant de les contenir tant bien que mal. J'aurais voulu pleurer... De tristesse, de colère, de n'importe quoi, j'aurais tant voulu verser une larme.

Sans un souffle, Kira se laissa glisser de la branche et atterrit en douceur sur le sol gelé. Le froid était le dernier de ses soucis, son moral n'y était plus. Elle rétracta ses ailes et partis à pas saccadés sans même se retourner. Que ressentait-elle à présent? Si seulement je pouvais lui parler, si seulement il n'était pas là!

En parlant de cet être machiavélique, il faisait craquer les os de ses doigts un par un avec insistance, puis il répéta ce processus avec son cou, d'un côté, puis de l'autre. Il se redressa et sautilla comme pour s'échauffer.

"-Une bonne chose de faite, ce n'est plus que question de temps avant que ce soit sa fête!"

Je ne lui répondis pas, je n'en avais ni l'envie ni la force.

"-On ne dit plus rien? Tant mieux, tu ne m'ennuieras pas au moins. J'ai soif, c'est l'heure de la chasse!"

Il s'éleva haut dans le ciel et rôdait à la recherche de son âme quotidienne. Je n'y faisais même plus attention... Qu'il tue qui il veut, ça m'était complètement égal.

Le lendemain, je me réveillai comme chaque matin dans mon lit, la fenêtre grande ouverte. Mon premier réflexe fut de m'emparer de mon téléphone et de tenter de contacter Kira. Je le déverrouillai en hâte, recherchai la conversation et m'apprêtai à taper un message. Mais je me figeai aussi net, incapable de faire apparaître la moindre lettre sur l'écran. Je serrais les dents. "Je ne peux pas. Je n'y arrive pas. Je me suis détourner d'elle, elle ne pardonnera jamais..." pensais-je tout haut, comme si ma conscience s'était matérialisée devant moi. Ma vie ennuyante semblait avoir repris son cours.

Le souffle du vent d'hiver était le dernier de mes problèmes. J'avais tout gâché, avec Kira, avec ce démon de la pire espèce. J'étais faible, il fallait bien que je m'y résolve. Je ne parvenais pas à le contenir. J'avançais, le regard hagard, un pied devant l'autre, encore, toujours, jusqu'à la porte en bois de la salle de classe. Quel cours allais-je suivre? Ça m'étais d'un égal absolument incroyable, quoiqu'il arrive, je savais très bien que je n'oserais même pas affronter le son regard. J'aimerais qu'elle me déteste à présent, je ne valais pas la peine qu'elle s'inquiète pour le lâche que j'étais.

La sonnerie retentit, douce mélodie à mes oreilles en comparaison avec les mots épineux d'hier soir. Tout me paraissais si ordonné, le chahut quotidien ne m'étais plus aussi chaotique, bien que toujours le même. La même rengaine se répéta : Cadence lente, yeux dans le vague, place du fond. J'installais machinalement mes affaires sur la table, je ne pensais à rien. J'étais un élève lobotomisé par une force fantomatique venue d'ailleurs. Le temps du refrain : Le professeur appel un à un les autres personnes présentes. Trois, deux, un, mon tour. Je me contentais de lever mon avant-bras. D'un rapide coup d'œil, l'adulte nota ma présence et passa à la suite. Trois, deux, un, son tour, celui de Kira. Mais le silence se fit pesant, presque assourdissant. Il répéta : "Kira?", mais sans succès. En tournant la tête, la chaise vide à ma gauche m'indiqua son absence. Je serrais la mâchoire et étouffais la colère dirigée contre moi-même. Je ne pouvais m'empêcher de penser que c'était de ma faute, et de la mienne seule. Je ne l'aurais pas laissée, tout ça ne serait pas arrivé.

L'heure de la pause, vingt minutes où le calme redevenait une tempête irritante. Je sortis et déambulai dans les couloirs, une feuille à la main. Je devais la remettre à ma professeure de sciences, un devoir en retard, comme souvent. En passant le pas de la salle des professeurs, j'entendis une conversation sans le vouloir :

"-Oui c'est bien cela, elle n'était pas en cours ce matin.

-La pauvre, j'espère qu'elle s'en remettra.

-Je l'espère aussi, son état était, à ce qu'il paraît, vraiment déplorable. Qui a bien pu faire ça à une jeune fille comme elle?

-Je n'en ai aucune idée, une enquête a été ouverte.

-Tant mieux, croisons les doigts pour que l'agresseur soit retrouvé."

Je tremblais depuis le début de ces paroles, les yeux écarquillés à m'en faire rougir les veines. Je serais le poing et froissais du même coup mon devoir. "Kira!" pensais-je agacé. Je me ruai vers la sortie du lycée et courrais un dératé dans les rues enneigées. "Elle ne peut être qu'à l'hôpital... Tiens bon, je t'en supplie!".

"Qui? Qui a osé la toucher! Il me le paiera!"

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant