(Pardon, pardon d'avoir tant tardé à rédiger cette suite ! Je me suis focalisée sur l'écriture d'une nouvelle pour un concours, et comme j'ai beaucoup de mal à me disperser avec mes projets, j'ai mis de côté l'Alchimiste. Mais me revoici ! J'ai trouvé un peu d'inspiration aujourd'hui, j'espère que ce nouveau chapitre vous plaira ! :D )
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6.
Si la décision de partir parut naturelle à Aurore, il n'en fut absolument pas de même pour ses parents. Elle s'était senti le devoir de les informer, et en était venue à le regretter. Ils tempêtèrent, hurlèrent, pleurèrent, avant de finir par se résigner. Que pouvaient-ils faire d'autre ? Elle ne suivait que sa conscience. Son chemin n'était fait que de ses propres pas, pas d'un sillon formé par d'autres auparavant. Il en avait toujours été ainsi, et elle ne faisait que franchir une nouvelle étape de cette destinée qui leur échappait totalement.
Leur seule consolation était de savoir que Setareh l'accompagnerait. Il était peut-être moins dangereux que ses semblables, il la protègerait toutefois au prix de sa vie, ils le savaient.
Alors, aux premières lueurs de l'aube, chargée de leur amour, de leurs appréhensions, de ces adieux qui n'en étaient peut-être pas, ainsi que d'un bagage contenant le nécessaire pour deux ou trois jours de marche, elle partit.
Elle se dit qu'elle n'avait encore jamais vu la mer, et choisit donc de marcher vers l'Est. Arcania était grande, pleine de merveilles, de personnes inconnues et de souffrances qui ne demandaient qu'à être soignées. Elle n'aurait qu'à tout découvrir en chemin. Après tout... le plus important n'était-il pas le périple plutôt que le point d'arrivée ?
— Qu'en penses-tu, Set ?
Un grognement approbateur lui répondit. Peut-être qu'autre part, sous des cieux plus cléments, ils seraient acceptés autrement.
La deuxième nuit, la jeune femme fut tirée de son sommeil lourd par un feulement prononcé, ainsi que des coups de queue répétés sur ses cuisses. La panthère et l'alchimiste dormaient toujours l'un contre l'autre, et c'était sa façon à lui de la prévenir sans faire de mouvement brusque.
Ses jambes la tiraient, sans parler de son dos et de ses pieds, moulus par le nouveau rythme qu'elle leur imposait. La douleur physique activa son don, lui accordant un regain de confiance en elle. Juste ce dont elle avait besoin, elle qui commençait à sentir la solitude, le manque de sa famille, et la grandeur du voyage qu'elle entreprenait.
Set se mit à gronder, montrant doucement les babines.
Couchée sur le dos, elle tourna délicatement la tête vers lui, tâchant de capter à travers ses perceptions félines la nature du problème. Elle ne fut pas longue à saisir.
Des bandits. Des êtres ravagés par la faim, par l'infortune, qui n'avaient trouvé d'autre recours que de piller les passants la nuit afin de survivre le jour. Elle perçut leur colère et leur souffrance comme si elle avait respiré une odeur entêtante et irritante. Ensuite seulement, elle entendit leurs bruits de pas, tour à tour calfeutrés et révélés par le sol de la forêt.
Ils devaient être trois. Deux femmes et un homme. Liés par l'adversité, par les tragédies qui les avaient connectés autant que les liens du sang qui, pour certains, les unissaient auparavant.
Aurore contempla l'attaque, une soirée, de déserteurs assoiffés d'un sang innocent. Ils se ruèrent sur un minuscule village, peuplé d'une dizaine de maisons, et tuèrent tout, des enfants jusqu'aux anciens. Seuls furent épargnés une femme, qu'ils crurent morte, ainsi qu'un frère et une sœur, partis marchander dans une autre ville pour l'occasion. Le reste brûla. Et la soif de vengeance s'enflamma. Elle ne pourrait jamais remplacer ceux qui ne cessaient de leur manquer, et ils en avaient conscience.
Toutefois, lorsqu'un animal est blessé, il ne sait qu'attaquer. Lorsqu'un humain est à ce point touché au cœur, il devient pire qu'un animal blessé : il risque d'oublier son humanité.
Immédiatement alerte, Aurore se contenta d'un bref ordre à Set, avant de se relever d'une pulsion largement renforcée par son Alchimie, gorgée d'un désespoir qu'elle souhaitait balayer.
— Plaque-le.
Le félin bondit, rejoignant celui qu'elle avait désigné. Ses mains à elle se gorgèrent de lumière, avant que le tout ne forme deux lassos scintillants, qu'elle jeta sur les assaillantes restantes. En moins de dix secondes, les trois malfrats furent immobilisés, et le silence restauré.
Si Aurore avait compris quelque chose depuis son plus jeune âge, c'était que les humains répondaient différemment à la douleur. Certains s'y laissaient couler, d'autres l'apprivoisaient jusqu'à ne plus la remarquer, d'autres la refusaient, et d'autres... ne se laissaient absolument pas l'occasion de l'incorporer. La jeune femme avait encore peu croisé d'êtres qui avaient fait face à la souffrance, avant de totalement la nier, et de tout faire pour l'oublier. La plupart des gens se laissaient emporter, ou s'en faisaient une compagne d'infortune. Pas ceux-ci.
Les nouveaux arrivants n'avaient fait que batailler – intérieurement comme extérieurement – afin de survivre, et surtout d'échapper à ce qui les taraudait depuis des années. Ils n'avaient été que feux-follets depuis, afin de ne pas sombrer. Pourtant, ils avaient versé dans quelque chose qui les auraient révulsés s'ils s'étaient laissé l'occasion de penser...
La peur de la douleur est souvent plus dévastatrice que la douleur elle-même.
L'Alchimiste soupira.
— Qui... qui êtes-vous ? couina l'une des deux femmes.
— Une Alchimiste en voyage, répondit paisiblement la jeune femme.
— Quel genre d'Alchi...
— De celles qui aident, coupa-t-elle. Ne craignez rien. Tout ira bien.
Après quoi, consciente que toute discussion serait superflue, elle laissa son pouvoir affluer et agir à sa guise. Il plongea les trois blessés de la vie dans une transe proche du sommeil le plus pur, le plus profond, chose qu'ils n'avaient pas dû expérimenter depuis belle lurette. Elle devina plus qu'elle ne contempla ce qui se produisit ensuite. L'Alchimie se chargea de leur fournir un apaisement sans pareil, tout en faisant remonter à leur surface des souvenirs importants. Ceux que l'on aime, et parfois plus encore ceux que l'on a aimé, savent nous rediriger. Ils revécurent des instants forts, qui les façonnèrent à nouveau. L'amour remplaça la haine, la paix souffla la violence. Ils firent face à ce qu'ils avaient commis, à ce qu'ils avaient traversé, tout en contemplant les visages des disparus, qui leur offrirent un nouveau souffle pour avancer.
Ils n'étaient pas entièrement lavés. Il leur faudrait une existence entière pour ceci, et Aurore le savait. Elle ne put que leur offrir la première étoile. Parce qu'il est bien connu que l'on ne peut en observer que lorsque l'on se trouve dans l'obscurité. Une fois que l'on a trouvé la première, il est plus facile de repérer les suivantes, et ainsi d'attendre, d'espérer, jusqu'au retour de l'aube tant désirée.
Elle ne pouvait faire plus qu'initier.
Aussi, elle baissa finalement les bras, et chuchota :
— Allons, Set. Continuons.
Ramassant son peu d'effets, elle attendit qu'il revienne. Son dernier acte fut de dresser, grâce à ses propres douleurs physiques, une protection de quelques heures autour des trois endormis. On ne savait jamais, le traqueur pouvait se retrouver traqué.
Lorsqu'ils émergèrent de leur léthargie aux premières lueurs du matin, Aurore et Setareh étaient déjà loin.
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L'Alchimiste des Douleurs
FantasyDans le monde d'Arcania, terre façonnée par la magie, ont émergé des Alchimistes de toutes sortes, capables de changer le plomb en or, la pierre en eau, la maladie en santé, et tant d'autres prodiges insensés. Mais l'esprit de ce monde s'aperçoit bi...