Chapitre 4

90 8 2
                                    

Helen

Après la manifestation, relativement calme, même si la tension entre policiers et étudiants était plus que palpable, nous nous étions donné rendez vous avec Juliette, l'étudiante à la pancarte, le lendemain, même heure, même lieu. Nous étions rentrées rapidement chez Adèle pour nous préparer puis nous nous étions rendues dans un grand gymnase, à quelques minutes à pied de chez moi.

La fameuse soirée étudiante avait commencé depuis quelques heures et des cadavres de bouteilles et de fêtards jonchent déjà le sol. La musique résonne très fort dans toute la salle, me donnant mal à la tête. Je ne rêve que de fuir, là maintenant, de rentrer chez moi. Je ne rêve que de rester dans l'illusion que je n'ai rien, et que Charlie ne me laissera pas. La peur me broie les entrailles. Je suis tétanisée, terrifiée que cette soirée soit la dernière aux côtés de mon petit-ami, la dernière avant d'avoir la confirmation que je suis enceinte, la dernière avant d'être étiquetée "futur maman" au lycée. J'ai peur et ça se voit. Camille pose sa main dans mon dos et me pousse gentiment vers le bar. Elle commande trois boissons et nous allons nous assoir à une table avec Adèle.

-Tu penses aller danser ? Me demande Adèle

-Non, il faut que je parle à Charlie.

-Je ne le vois pas, viens un peu. Il faut que tu te détendes.

-Je n'en ai pas envie Camille.

-Je ne te posais pas une question. Tu viens danser, pas de négociations possibles.

-Je n'ai pas assez bu.

Camille me donne un verre, sous le regard désapprobateur d'Adèle. Je le regarde peu convaincue par la couleur étrange du mélange. Mais après tout, il me faut bien ça pour accepter de me lever de ma chaise. Je prends le verre des mains de mon amie et le vide. Un mélange brûlant me traversa la gorge et ne s'estompa qu'après quelques secondes. J'ai envie de vomir mes tripes mais la piste me parait bien plus attrayante au bout du quatrième verre. Je me lève brusquement, ne rêvant plus que de me déhancher  jusqu'à avoir les pieds en sang.

Sans vraiment réfléchir, j'attrape Camille par l'épaule pour l'emmener sur la piste de danse. Elle me suit, heureuse de voir que je reprends mes habitudes en soirée. Un large sourire plaquer sur son visage maquillé, elle imite mes pas, saute avec moi, me fait tournoyer, oublier la raison principale de ma venue. Celle-ci s'impose malheureusement à moi au bout de quelques chansons, lorsqu'une main se pose sur ma hanche. Je me retourne et croise le regard de Charlie. Il s'avance et me dit à l'oreille:

-Bonsoir mon cœur, tu m'accordes une danse ?

Je me cale dans ses bras, rassurée de le voir. Mais lorsqu'on passe une chanson de France Gall, mes angoisses refont surface.

-Helen ?

Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles
Ça te jouera un mauvais tour
Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles
Tu le paieras un de ces jours

-Tu es sûre que tout va bien ? Tu n'as pas l'air dans ton état normal.

-Il faut qu'on parle.

-Et bien, il aura fallu plus d'un an de relation avant d'entendre cette phrase. Rit-il doucement

-Ce n'est pas une blague Charlie, c'est important. On peut sortir ?

Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles
Un jour c'est toi qu'on laissera
Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles
Un jour c'est toi qui pleureras

Il s'inquiete soudainement et je le laisse me suivre tandis que je me dirige vers les escaliers qui mènent au toit.

Non pour te plaindre il n'y aura personne d'autre que toi
Personne d'autre que toi
Alors tu te rappelleras tout ce que je te dis là
Tout ce que je te dis là

Une fois à l'air libre, je recommence enfin à respirer. J'admire ce tout Paris illuminé et commence à recouvrer mes esprits. Je me retourne et trouve Charlie allongé au sol, à fixer les étoiles. Je m'allonge près de lui. Le silence règne quelques instants.

-Tu voulais qu'on parle ?

-Oui.

Je marque une très longue pause et d'un coup, je lâche.

-Je crois que je suis enceinte.

-Quoi ?

-Je n'en suis pas sûre mais je m'inquiète vraiment. J'ai besoin que tu m'accompagnes au rendez vous avec le gyneco... S'il te plaît. Je ne veux pas être seule.

-Tu... Tu veux faire quoi ?

-Je n'en sais rien. Je ne peux pas élever un enfant mais je n'ai pas les moyens d'aller à l'étranger. Soit je mène la grossesse à terme et je le confie aux services sociaux, soit je trouve quelqu'un qui accepte de m'avorter.

-Non, ne fait pas ça, tu vas y laisser ta vie. On pourra se débrouiller si tu veux mais ne mets pas ta vie en jeu, je t'en supplie.

-Je ne sais pas... J'ai juste besoin que tu sois là, s'il te plaît promets moi de ne pas me laisser. Je ne veux pas finir comme ma mère, à élever un enfant seule. Promets moi Charlie.

-Je te le promets Helen, je ne te laisserai pas.

Je cale ma tête sur son torse et laisse sa main me carresser les cheveux. Nous continuons de regarder le ciel, silencieusement.
Je n'avais jamais remarqué la beauté de la lune dans le ciel d'encre, admiré les lumières diffuses des étoiles. Je n'avais jamais vu la ville de nuit, une fois tous endormis. Je n'avais jamais ressenti ce sentiment de pouvoir absolu lorsqu'on était la toujours éveillée, unique témoin, ou presque, d'événements nocturnes, chargée officieusement de la protection nocturne. J'avais toujours cru que tout pouvoir impliquait une solitude absolue.
Mais ce soir, je ne suis pas seule. Et même si tout n'est pas toujours au beau fixe entre nous,je tiens sincèrement à lui et je lui fais confiance. Il sera là, il ne me laissera pas, il l'a promis. Et il tient toujours ses promesses.

Minuit moins vingtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant