Dustin McAvoy trouva étrange que la jeune domestique d'Hannah eut frappé à sa porte et réclamât une audience avec lui. Cependant, curieux des raisons qui la poussaient à agir ainsi, il ne releva pas et l'observa tandis qu'elle se tenait bien droite devant lui, sans montrer aucun signe de nervosité. Il ne l'invita toutefois pas à s'asseoir.
— Sir McAvoy, commença-t-elle en choisissant ses mots avec précision, j'ai entendu dire que vous rentriez bientôt dans votre pays.
— Viens-en aux faits, Juliet.
Il remarqua qu'elle ne baissait pas les yeux face à son agacement. Cette petite domestique avait quelque chose d'insolent au fond de ses prunelles, il n'était pas certain d'apprécier cela.
— C'est Miss Hannah, sire, je la côtoie assez pour la connaître. Ce voyage à l'autre bout du monde ne l'enchante pas.
— En quoi cela te regarde-t-il ? L'admonesta-t-il sèchement en se servant un verre de whisky.
L'adolescente, loin de paraître confuse, sembla plutôt s'embraser devant le ton de son employeur. Ses grands yeux noirs s'emplirent d'une flamme nouvelle, d'un éclat de ruse et de détermination qui la firent presque ressembler à une renarde.
— Je souhaite le bonheur de miss Hannah, prétendit la jeune domestique, et je sais que vous aussi. Je ne pense pas qu'il soit dans son intérêt qu'elle demeure en Angleterre, si loin de vous.
Dustin sirota une gorgée d'alcool en réprimant un léger sourire. Cette petite lui mentait, et aussi étrange que cela puisse paraître, cette pitoyable tentative le plongeait dans une sorte d'excitation purement cérébrale. Il éprouvait cette délicieuse sensation d'engager une joute verbale, un jeu machiavélique dans lequel chacun tentait d'amener l'autre là où il le souhaitait.
— Le bonheur d'Hannah compte énormément pour moi, admit-il d'un air faussement affectueux. Mais que sais-tu de ses réticences à nous accompagner en Amérique ?
— Elle n'ira nulle part sans votre fils, sir.
C'était à prévoir, et pourtant, cela lui semblait inconcevable. D'où venait cette étrange fascination qu'Hannah ressentait manifestement pour Tom ?
Tom ! Son étrange fils, inadapté à la vie en société, socialement défaillant, incapable de se prendre en main et tout juste bon à jouer au piano comme une fillette ! Tom était aux antipodes d'un homme que les femmes pouvaient trouver séduisant, et lui-même ne trahissait aucun intérêt pour la gent féminine. D'ailleurs, il ne paraissait pas non plus éprouver quelques besoins de sociabilisation avec ses congénères masculins. Tom pouvait demeurer cloîtré dans sa chambre des semaines entières sans ressentir l'envie de voir quiconque, et on aurait facilement pu oublier jusqu'à son existence s'il n'y avait eu l'interminable litanie du piano. Dormait-il ? Mangeait-il ? En vérité, Tom était parfois un mystère pour son père.
Mais plus étranges encore étaient ses liens avec Hannah. La douce et jeune fille était parvenue - Dust ne savait comment - à apprivoiser l'artiste solitaire. Son beau-père ne doutait pas un seul instant qu'elle eut pu charmer une pierre - là n'était pas la question - mais bon sang, pourquoi Tom ?
Inexplicablement, loin de l'agacer, les mystérieux penchants d'Hannah en matière d'homme ne faisaient que renforcer sa propre fascination pour la jeune fille. D'un point de vue plus pratique, il songeait avec un soupçon de satisfaction qu'elle pourrait peut-être alors se laisser charmer par son futur époux. Après tout, mieux valait ne pas avoir des goûts trop traditionnel pour s'attacher au jeune frère de Dustin, même lui en était pleinement conscient.
— Mon fils ne retournera pas en Amérique, déclara-t-il en se laissant aller contre le dossier de son fauteuil. Tom hait ce pays, à mon grand désespoir. Jamais il n'acceptera d'y remettre les pieds. Il est temps pour lui de s'établir en Angleterre.
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Ride, Baby, ride
Ficción histórica1772, Angleterre. La jeune et jolie Hannah Keegan se voit imposer un mariage à l'autre bout du monde. La voilà en route pour les terres encore sauvages d'une Amérique où la beauté de la nature se dispute à la violence des hommes. L'épopée d'une ado...