Un an. Un an qu'il a disparu. Un an que mon monde s'est écroulé. Un an que je ressens un vide en moi. Je voudrais que cela se finisse. Mais comment le pourrais-je ? J'ouvre les yeux, notre chambre est restée la même. Un grand lit, des draps qui étaient autrefois aussi doux que la soie. Mais maintenant ils sont aussi rugueux qu'une toile de jute. Je me relève, tourne la tête. Nous sommes le 16 janvier 1919 comme l'indique mon calendrier posé sur une table de chevet. Je me lève, ouvre le tiroir et comme tous les matins, je la vois. Une montre. Sa montre. Celle de mon défunt mari. Je la regarde inlassablement, je la caresse, lui parle, comme s'il était devant moi. Soudain j'entends quelqu'un frapper furieusement à la porte d'entrée. C'est vrai, le jour est arrivé. Je referme le tiroir en laissant mon regard dérivé une dernière fois sur elle. Je prends mon bagage et descend. J'ai l'impression que la porte va sortir de ces gonds tellement les coups retentissent fort. J'ouvre la porte, le soleil m'éblouit. "Bonjour Marie ! Dépêche-toi, on va partir ! Rejoins-nous dans la voiture, François, Editt et moi-même, on t'attend." me dit Eude. Je ne répondis pas, le laissant partir. Je restais là, quelques instants, profitant de la chaleur du soleil après une année à n'être jamais sortit de chez moi. Une fois avoir pris mon courage à deux mains, je refermais la porte à clef, sans oublier mon bagage, en laissant la montre derrière moi. Dans la voiture, je laissai mon regard dérivé sur le paysage défilant, au fur et à mesure que notre point d'arrivé se rapprochait, sans qu'un seul mot ne franchisse mes lèvres.
Je sentis des secousses puis la voiture s'arrêta, et Eude me réveilla avec empressement. Je compris alors que nous étions arrivés. Je sortis de la voiture, pris mon bagage et regardais en face de moi. Autours de moi, une forêt de pins s'étendait à perte de vue. Je suivis un chemin qui me mena à une magnifique petite auberge faîte du même bois que la forêt. Je pris quelques instants pour apprécier ce paysage. La forêt de pinacées pouvait paraitre lugubre au premier abord, mais pour moi ces pins de trente mètres me réconfortaient. Je me retournai et vis l'auberge. Elle était rustique mais moderne à la fois, simple mais élaborée, austère mais accueillante. Je vis Eude qui me dit de rentrer, il me donna les clefs et me dis d'aller me reposer pour ce soir. Sans plus me poser de question, je pris mon bagage, montai les escaliers, ouvris la porte de ma chambre et entrai. La chambre est à l'image de l'auberge : rustique. Je pris à peine le temps de défaire mon bagage, pour m'installer dans mon lit et fermer les yeux.
Je bondis de mon lit à cause du brouhaha retentissant au rez-de-chaussée. Je tournai la tête vers la fenêtre et vis que le soleil s'était couché. Je m'apprêtai, puis je descendis, là où mes amis m'attendaient pour commencer la soirée. Eude me vit et me tendit une coupe de champagne que j'acceptai, pour faire passer cette sensation de nostalgie. Plus la soirée défilait, plus les verres s'enchaînèrent. Je ne parlai pas beaucoup, restant prostré sur ma chaise, écoutant les conversations qui fusèrent et la douce mélodie du saxophone jouée par l'aubergiste. Le temps passait, j'entendais de moins en moins bien, ma vue se troublai. Je dis à mes amies que j'allais faire un tour car la chaleur commençait à se faire ressentir. Peut-être est-ce dû à la dernière coupe de champagne que m'a donné Eude. Une fois la porte d'entrée franchie, je pus constater la différence de température entre l'auberge et la forêt sous une nuit de pleine lune. Je respirai une grande bouffée d'air frais et m'engageai sur un petit sentier entre deux pins. Les minutes défilèrent et la sensation d'enivrement ne passa pas, ma tête tournai, je continuai à marcher tête basse en trainant mes pieds, qui se prirent dans une racine d'arbre. Je sentis la chute imminente venir mais par reflexe, mes bras me protégèrent, mais ma tête cogna le sol. Quand je portai la main à mon front, anesthésiai par le froid et les flutes de champagne, je ne sentis rien mais ma main, elle, était couverte de sang. Sonnée, j'essaya de me relever, mais mon regard fut attiré par l'éclat de la lune qui se reflétait dans le coin de mon œil. Je m'approchai. Dans le silence de la forêt, j'entendis un bruit bien connu. Ça ne pouvait pas être ça, je l'avais laissée chez moi. Je vis la boucle, puis le bracelet de cuir et enfin le cadran. Elle était comme je l'avais laissée. Impeccable. Je ne sais pourquoi mais les larmes tombèrent d'elle-même. Ma vue se brouilla. Je restai là, au sol. Cette maudite montre me regardait, je l'entendais me parler. Je me bouchais les oreilles, et fermais les yeux comme une enfant qui fait un caprice. Quand la nuit redevint silencieuse, je relevai ma tête, ouvris les yeux et tournai mon regard vers l'emplacement de l'objet maudit mais chéri. Elle avait disparue du sol, pour se retrouvé attaché à un poignet. Au poignet était reliée une main qui était tendue vers moi. On aurait dit qu'elle venait d'un autre temps. Elle était là, tendue vers moi. Je la saisis, elle me releva. Quand mon regard se posa sur le visage de l'homme, car oui s'en était un. Les ongles rongés par le froid, les mains calleuses, la peau de ses bras couverte de blessure et de suie, ses larges épaules portant une veste de soldat de guerre qui venait de prendre fin. Mon regard finit sa course au niveau de ses yeux. Et là, je compris, je l'avais reconnu dès le premier instant mais je ne voulais pas me l'avouer. Les larmes recommencèrent à couler, ses mains se posèrent sur mon front comme à son habitude. Je lui dis "Que t'est-il arrivé ? Pourquoi m'as-tu abandonné ? Pourquoi reviens-tu me hanter ? Tu es mort ! À cette maudite guerre ! Tu es mort ! Tu m'as abandonné. Je t'ai enterré, je n'ai même pas pu t'embrasser une dernière fois. Ton corps a été décharné, et pourtant te voilà." Il me regarda, me sourit comme à son habitude. Il prit ma main et sans un mot me tira hors de la forêt. Je le suivis, légèrement à la traîne, encore ahurie par ce qui était en train de se produire. Il n'avait toujours pas dit un mot. Je fixais la montre qu'il portait. Il me l'avait donné avant de partir sur le front, au cas où le pire arriverait. Et il est arrivé. Cinq mois après son départ, j'ai reçu une lettre. Une lettre qui me disait qu'il avait perdu la vie en tentant de sauver un compagnon d'arme. Il était mort dans l'honneur. Et moi, à partir de ce moment-là, j'ai vécu dans le désespoir. Enfin si vivre était le bon mot pour qualifier la façon dont j'ai continué mon existence. Sans même m'en rendre compte, on était dans ma chambre. Il était au milieu de la pièce et me fixé depuis quelques minutes, quelques heures, quelques jours, je ne saurais le dire. Je m'avançais vers lui. Il ne bougea pas. Je le fixais. Il se recula, enleva sa veste de militaire, ses chaussures usées par le temps et alla s'allonger dans mon lit. Comme si nous étions à la maison. Je fis de même et le rejoins dans le lit. "Pourquoi reviens-tu me hanter ?". Il tourna la tête vers moi et prononça les premiers mots de la soirée, "c'est toi qui me hante". Tout en prononçant ces mots, il me montra la montre qu'il portait. "Je la gardais en souvenir. En souvenir de toi. Tu as horreur d'être pris en photo" dis-je avec un sourire sur les lèvres. Après un moment, je pris mon courage à deux mains et lui demanda "Pourquoi l'as-tu sauvé ?". Il ne répondit pas pensant surement que la réponse était évidente. Mais moi, j'attendais sa réponse. Sans même m'en rendre compte, le sommeil me gagna, bercé par sa présence et son odeur du passé.
Je fus réveillée par la chaleur des rayons de soleil. Lorsque j'ouvris les yeux, un mal de crâne assourdissant me pris. J'essayai tant bien que mal de me lever. Je descendis, me préparai un café d'une manière mécanique. Et là, tout me revint, la soirée d'hier, tout. Je me hâtai pour rentrer chez moi, réveillai mes amies, pris leur bagage et demanda à Eude de conduire. J'ouvris la porte d'entrée en fracas, monta les escaliers en vitesse, rentra dans notre chambre. Une fois dedans, je fixais ma table de chevet, hésitant à l'ouvrir. Je tendis ma main fébrilement vers le tiroir. Je ne savais pas ce que j'allais trouver dedans. Je me rappelai de ses paroles d'hier, "c'est toi qui me hante". C'est vrai. À travers sa montre, je l'ai fait vivre, j'ai tenté de me maintenir hors de l'eau avec ce fugace souvenir. Mon bras tira le tiroir. Je n'osai pas regarder dans un premier temps, persuadée qu'elle était là où je l'avais laissé. J'ouvris délicatement les yeux et là, je vis. Où plutôt, je ne vis rien. Elle avait disparu. La montre.
Coucou ! Merci d'avoir lu, c'est mon premier écrit sur wattpad donc forcément je dois m'améliorer. Hésite surtout pas à me dire ce que tu en penses, ça me ferais très plaisir et m'aiderai à m'améliorer. Bref je te fais des bisous et à pourquoi pas dans une autre nouvelle ;)
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La montre
Short StoryUne montre. Un objet banal me diriez-vous. Certains en prennent soins, d'autres non. Et il y a elle, Marie, elle la vénère, la choie, lui donne tout son amour, car après tout elle représente bien plus qu'un simple bout de plastique usé par le temps.