Il était le plus grand, le plus fort, celui dont tout le monde avait peur. On en parlait comme celui au-dessus des autres, et il avait fini par prendre goût à cette popularité. Il était quelqu'un de bien, oui, mais à force d'être entouré par ceux qui ne faisaient que le complimenter, il avait oublié qu'il n'était qu'humain. On l'appelait « le génie » entre ses amis, pas la peine de l'appeler par son prénom, c'était comme un titre honorifique. Un garçon parfait qui ne cherchait qu'à être à la hauteur des attentes des autres. Lorsqu'on avait besoin d'aide, on allait le voir pour résoudre le problème, et il aidait toujours les autres avec ce sourire que tous adoraient.
Mais il était comme un lion au milieu d'une foule de hyènes, et chacun ne cherchait à être avec lui que pour sa popularité, ou pour son charisme. Dans l'école qu'il fréquentait, chacun lui souriait, mais au final, c'est derrière ces visages souriants que se cachaient la plus grande menace. Ils étaient tous jaloux de son talent naturel, et ils attendaient tous la moindre erreur de sa part pour le mettre à terre. Être au-dessus de tous n'était pas à la portée de n'importe qui. C'était un véritable fardeau, on ne comprenait pas assez la souffrance des plus grands.
La perfection était la seule issue, leur existence ne se résumait qu'à ce simple mot. Il aurait pu perdre son identité, essayer de se fondre dans la masse, mais une fois tout en haut, il n'y avait plus de retour en arrière. Le choix était simple : premier, ou dernier.
Rares étaient ceux l'appréciant vraiment, mais ils n'osaient pas lui parler. « Trop au-dessus », « il ne m'aimera pas », « je ne suis pas assez bien » ; c'était ce genre de phrases qu'il entendait derrière son dos. Le génie n'attendait pourtant que cela. Il avait tout... La beauté, le charisme, l'intelligence, la bonté. Mais il était seul. Terriblement seul, même.
Il se devait de redresser la tête, car le jour où son regard descendra, il tombera à genoux, et on lui jettera des pierres dessus. Cette pression sociale ne tenait que difficilement sur ses épaules.
Mais alors, quel était le problème ? Le problème était qu'il cherchait le courage pour délaisser cette image qui lui collait à la peau. Il faisait de son mieux pour approcher les autres, mais il finissait par les éloigner de lui plus qu'autre chose.
Chaque journée pour lui se ressemblait. Il avait beau tenter de nouvelles choses, la vie était fade lorsqu'on était entouré par des hyènes. Sa créativité n'était plus la même qu'avant, il était fatigué. Il voyait grand pourtant, avait beaucoup d'idées, un regard sur le monde très ouvert, et une opinion tout à fait singulière. Mais il fatiguait.
Sa seule faille était son esprit trop fragile. Il prenait les critiques trop à cœur, rentrait chez lui pour pleurer en silence sur son sort. Personne ne savait. On le pensait tout puissant, mais lui aussi, il voulait devenir une personne « normale ».
Sa mère était fière de lui, tout comme son père. Jamais ils ne se seraient doutés de la souffrance qu'il éprouvait chaque jour, et qu'il cachait de tous. De l'affection, c'était tout ce qu'il demandait. Mais qui pouvait lui en offrir, alors que chacun l'évitait par peur de le déranger, ou par jalousie.
« Trop parfait ».
Comment arracher cette image ?!
Il en perdait ses nuits. Chaque jour, on put observer son état se détériorer de plus en plus. Ses cernes se creusaient, son sourire s'effaçait. La fin fut marquée lorsqu'il rata pour la première fois un test. Tout le monde fut déçu.
Lui, il obtenait ce dont il avait toujours rêvé. La liberté d'être celui qu'il voulait. Mais il la perdit après seulement quelques temps. On put maintenant l'atteindre, lui qui était si supérieur. L'attaquer moralement, l'insulter, remettre en cause son existence. A quoi bon vivre s'il ne pouvait plus tenir son rôle ? Il était devenu un échec, et la société ne voulait plus de lui.
Sa mère le voyait, qu'il ne mangeait plus. Son père n'y prêtait pas attention. Cependant tous deux étaient déçus de lui, et ils ne pouvaient le cacher. Le génie déchu l'avait remarqué dans leur regard.
Sa descente aux enfers de fit que continuer. Le sommeil était devenu un luxe, la tranquillité un besoin urgent. Il était dans son monde, il évitait les autres. L'humanité était donc une cause perdue, pour une personne telle que lui, la foi ne suffisait plus. Il avait vu un psychologue, sans pour autant se sentir plus soutenu.
Son attention n'était plus que sur le ciel, de jour ou de nuit, il se perdait dans cette immensité. Il était déconnecté, dans son monde, mais au moins il n'avait plus à se soucier de l'opinion des autres.
Il était décevant, mais cela lui allait très bien. Il trouvait le réconfort en se disant qu'au moins il était libre, se faisait sourire, voire rire, en repensant aux autres qui avant étaient si gentils avec lui. La vie était si ironique. Être si puissant, pour finir tout en bas de l'échelle.
Non, il n'était pas parfait. Il pouvait maintenant se l'assurer, et en rire avec lui-même. Son seul compagnon était maintenant ce ciel. Au moins, lui était toujours là.
Le génie ne pleurait plus quand il rentrait. La solitude lui allait très bien, et ses résultats médiocres aussi. Il n'avait plus de rêves à réaliser, mais à quoi bon ? Il était heureux.
N'est-ce pas ?
Pourquoi sentait-il toujours un creux en lui, un tel manque ? Il ne savait pas.
Il avait perdu le contact avec la réalité ; les écouteurs dans ses oreilles, il marchait sans se soucier de l'environnement.
Plus tard, il serait devenu un chercheur, un médecin, voire peut-être physicien. Il aurait pu découvrir un remède définitif à certaines maladies, sauver des milliers de gens.
Mais sa vie s'était arrêtée sur la route. En oubliant le monde, il avait fini par oublier les dangers. Une voiture l'avait renversé alors qu'il traversait les yeux relevés, lançant un dernier regard à son seul ami depuis toujours.
Le ciel.
Il obtint enfin ce qu'il recherchait depuis toujours sans savoir. La sérénité.
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Le tigre aussi a besoin de sommeil - OS
SpiritualÊtre le plus grand, le plus fort. Retomber au plus bas. Un tigre entouré par des hyènes ne doit pas risquer le moindre faux pas. Mais lui aussi a besoin de se reposer. Comme tout être vivant.