Chapitre 28 - Perplexité nouvelle

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Sa mère lui manquant terriblement, et chaque jour un peu plus, Céleste se plongea corps et âme dans le travail, elle n'eut bientôt plus le temps de s'inquiéter de l'état de Lisæ, ni des paroles cruelles d'Ovicham. Elle avait aussitôt raconté ce qu'il s'était passé à Jordan et Helæ, et ceux-ci avaient froncé les sourcils. D'après eux, il n'avait jusque là jamais été interdit de rendre visite à un proche à l'Infirmerie Centrale. Et bien que cela inquiéta davantage la jeune fille, elle fut contrainte de mettre ses questionnements de côté afin de faire face à un problème plus pressant. En effet, elle poursuivit donc ses missions à Nocé chaque samedi soir, évitant comme la peste l'habitation voisine du manoir de Courboyer. Plus les semaines passaient, plus les choses s'aggravaient, plus le fossé se creusait et plus l'erreur devenait irréparable. Elle eut bientôt sur la conscience deux mois sans aucun souvenir d'Arthur Michel recensé. Désormais, elle ne pouvait que mentir, car avouer sa bêtise aurait été pire que tout. Mais le mensonge devenait de plus en plus vaste à chaque mission. La jeune fille savait que l'on finirait par se rendre compte qu'il manquait les souvenirs d'un homme, et elle tremblait de la tête aux pieds en songeant au sort qu'on lui ferait subir alors. Et si elle était renvoyée des Archives ? Et si elle se retrouvait à la rue, sans foyer ?

Parfois, la terreur disparaissait, laissant place à un sentiment de puissance et de liberté, un sentiment de justice. Elle se révoltait à l'idée que l'on puisse voler la mémoire des gens. Elle désirait cesser cette activité, mais elle était bien obligé de récolter ceux des autres habitants de la petite ville, sans quoi son erreur ne passerait plus inaperçue.

Cette après-midi là, Céleste avait rejoint Hugot et Roméo dans la chambre d'Amælie, ainsi que Lætitia qui avait décidé de rester pour la soirée aux Archives du Monde afin de passer davantage de temps avec ses amis.

Assis sur le lit d'Amælie, ils dévoraient des confiseries apportées par Lætitia en racontant les moments clefs de leurs missions respectives.

— ... est vraiment adorable ! racontait cette dernière. Ses souvenirs sont très confus, sa vision du monde est très limitée mais quelque part assez poétique. Je n'avais jamais vu la mémoire d'un bébé, mais le fait qu'ils ne comprennent rien à ce qui les entoure est extraordinaire à visionner. Tu ne trouves pas, Céleste ?

Tous se tournèrent vers la jeune fille, qui était occupée à mâcher une boule de gomme à la fraise en regardant sans la voir une fissure sur le mur du fond et en entendant sans écouter les paroles de ses camarades, plongée dans ses pensées. La jeune fille sortit finalement de ses songes alors qu'elle sentait tous les regards posés sur elle lui brûler la nuque. Son regard erra sur le visage de ses amis, n'ayant pas écoutée la question qu'ils lui posaient. Elle papillonna des paupières et leur adressa son plus beau sourire.

— Plaît-il ? fit-elle avec son rictus hypocrite.

Roméo pouffa, Hugot et Amælie échangèrent un regard entendu tandis que Lætitia laissait échapper un soupir exaspéré. Céleste, quant à elle, leur souriait toujours, bien consciente que ses amis se moquaient de son manque d'attention.

— Je te demandais si tu ne trouvais pas épatant les souvenirs de jeunes enfants... Mais peu importe. Tu t'occupes d'une zone super, toi, non ? Parce que, moi, je me contente d'un petit village paumé que personne ne connaît...

— Eh ! intervint Amælie. Mais j'y pense : c'est à Nocé que vit le célèbre écrivain Arthur Michel, non ?

Céleste se tendit. Elle sentit des sueurs froides couler le long de son front, et tenta tant bien que mal de cacher son trouble derrière un air dégagé. Elle prit une profonde inspiration avant de demander du tac au tac, dans une tentative de diversion désolante :

Le syndrome des cœurs de pierre I - PupilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant