Chapitre I : Le Minnesota

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[ ARTYOM ]

Il est 17h44. On savait que la route allait être longue jusqu’au Minnesota, mais pas à ce point. On avait tout juste assez d’argent pour expédier nos meubles de Boston jusque là bas. La route était fluide, les arbres défilaient à toute vitesse sur un superbe couché de soleil avec ses couleurs chaudes… Aleksey préfère dormir sur la banquette arrière plutôt que de m’aider à trouver un itinéraire plus court… Ou un itinéraire au moins. Aleksey c’est mon premier petit frère. C’est un branleur mais il sait qu’il peut être une tête si il en a envie. Heureusement que Anton est là, il est devant à m’épauler comme d’habitude avec son siège spécial et sa carte de la route. Anton c’est le dernier de la famille. Aleksey et moi on le surnomme « Vojd » qui veut dire « Guide » en russe… Ça semble plutôt approprié dans ce genre de situation hein ? On était encore à un jour de route avant d’arriver à Lakeville dans le compté du Dakota. Le voyage était plutôt silencieux mis à part les ronflements incessants de Aleksey.
Puis après un petit moment, Anton entame une conversation : « C’est encore loin..? A-il demandé un peu froidement.
- Non ne t’inquiètes pas, Il nous reste moins d’un jour de route.
- Moins d’un jour ?
- Oui oui. Si tu es fatigué tu peux te reposer si tu veux, je peux continuer encore un bout de chemin tout seul.
- Non ça va, je n’aime pas dormir.
- Oui mais si tu veux être d’aplomb, faut savoir faire une pause de temps en temps.
- J’ai dit que c’est bon. »
Ce « C’est bon » de Anton était sec et méprisant… Je pense qu’il m’en veut encore au sujet du déménagement. On a d’abord habité à St. Petersbourg en Russie avec nos parents, puis on a déménagé à Boston dans le Massachusetts pour le travail de notre père. Depuis l’accident de la route où Anton a perdu ses jambes et Anita & Dimitri, ses parents adorés, notre Vojd a perdu toute foi en la vie… Anton était quelqu’un de jovial et enthousiaste. Il adorait la lecture, la musique et le dessin. Mais il s’est arrêté de lire, d’écouter et de dessiner après l’accident. Il tient à garder les deux bocaux de cendres dans sa chambre, celui de maman à gauche parce qu’elle était gauchère et celui de papa à droite parce qu’il était droitier. Le jour de leurs funérailles, Aleksey avait pleuré comme une fontaine… Il pense que pleurer « c’est pour les gonzesses », il y a encore de la marge avant qu’il devienne un adulte.
Après 20 minutes sur l’autoroute, Anton me demandé : « Tu peux t’arrêter quelque temps s’il te plaît ?
- Oui d’accord. »
J’ai garé le pick-up sur le côté après avoir mis ses feux de détresses. j’ai sorti du coffre la chaise roulante de Anton et l’ai aidé à s’asseoir dessus. Ce dernier m’a remercié et je n’ai répondu que par un hochement de tête. Aleksey dormait encore tandis que Anton et moi sommes parti se balader un peu plus loin. Cette fois j’ai commencé la discussion : « Alors pas trop fatigué..?
- Non je te l’ai déjà dit, a-t-il répondu rigidement.
- Ah ouais c’est vrai. Dit, est ce que t’avais des amis à Boston ? Ai-je dit un peu maladroitement.
- Non. Qui voudrait d’un maniaco-dépressif comme moi ?
- Arrête t’es pas un maniaco-dépressif…
- T’as cru que je t’ai pas vu sur ton portable avant-hier ? Sur tes sites de docteurs et de psy bizarres ? Il a parlé comme si il avait trouvé l’argument ultime.
- Non mais ça c’est pour moi en fait.
- Hein ? Et pourquoi t’en aurais besoin ?
- Parce que je suis grave angoissé à l’idée de commencer ce nouveau travail c’est tout.
- Ah… Je suis désolé de t’avoir parlé comme ça…
- Mais ce n’est rien voyons ! »
On avait parlé de tout et de rien, je voulais l’embarrasser en lui posant des questions sur une potentielle Bostonienne sur qui il avait flashé. Il me répondait des trucs philosophiques du style « l’Amour c’est le début de la stupidité »… C’est rien, ça veut juste dire qu’il est pas encore stupide au fond ! On est rentré au pick-up et continué notre route. Demain est un nouveau jour : on va avoir une maison, moi un job et Aleksey & Anton un lycée. Demain est un nouveau jour.

[ ANTON ]

Artyom pense que je suis encore un enfant mais j’ai bientôt 17 ans, je peux m’occuper de moi tout seul. Artyom est encore très affecté par le décès de nos parents et je le comprends. Je pense à eux sans cesse et j’y suis même contraint. Je ne sais pas si le jour de l’accident j’aurais pu faire quelque chose… On était sur la route du retour pour rentrer à Boston, on était en Novembre 2015 à 19h21. Il y avait beaucoup de neige, c’était apaisant… Il faisait nuit, le seul phare fonctionnant de la voiture et la Lune étaient les seules sources de lumières pour nous éclairer. Dimitri et Anita discutaient… Ils étaient un peu remontés à cause leur dispute la veille au sujet des études de Aleksey comme quoi il ne foutait rien. Cette nuit là, papa avait oublié de mettre les chaînes aux pneus… Tout est allé très vite, d’abord papa avait vu une animal passer sur la route et en essayant de l’éviter, la voiture a dérapé et a fait un tonneau sur plusieurs mètre. J’avais perdu connaissance un moment. Lorsque je me suis lentement éveillé, tout était flou, je reprenais mes sens petit à petit… J’étais encore dans la voiture. J’avais mal. J’avais extrêmement mal. Des bouts de vers c’étaient incrustés dans mes jambes et une barre de fer qu’on gardait en bas de la banquette pour soutenir le capot, m’avait littéralement brisé les rotules. Je regardais autour de moi effrayé puis une voix est parvenue à mes oreilles, si douce, si apaisante… Celle de maman. Elle m’a regardé doucement avec son épaule complètement peinte par la couleur sinistre du sang, et m’a chuchoté d’ouvrir la portière et de jeter la barre de fer qui m’entravait. Avant d’effectuer ce dernier ordre, elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Anton, nous t’aimons si fort »… J’ai dû bredouiller un truc incompréhensible avant qu’elle ne m’oblige à vite sortir de la voiture.
Une fois l’action accomplie, elle m’a demandé si je me souvenais des anciens films de guerre qu’on avait regardé un samedi soir où certains militaires s’entraînaient à se déplacer sur les coudes à plats ventre. Elle m’a demandé de faire la même chose mais sur le dos cette fois. J’étais en train de pleurer comme jamais je n’avais pleuré dans ma vie. Je n’arrivais pas à bouger. Pas parce que je ne pouvais pas mais parce que je ne voulais pas. Je ne voulais pas laisser les deux êtres que je chérissais le plus au monde mourir. Je ne voulais pas laisser partir Dimitri avec son humour des années 80 et Anita avec sa bienveillance exagérée de mère. Je ne voulais pas que mes parents adorés s’en aillent. Je me suis faufilé à contre cœur hors de la voiture, c’était un chaos consternant…  Malgré la neige, les flammes grandissaient avec leurs couleurs menaçantes. Cette scène était digne d’un portail des enfers qui s’ouvrait pour laisser entrer toutes les potentielles victimes innocentes. J’ai alors dégainé mon portable et composé d’abord le numéro des pompiers, de la police, des urgences, de toute les personnes possibles et inimaginable pour tenter de les sauver. j’arrivais à peine à parler, je bégayais et pleurais à la fois et le dernier acte de cette pièce était celle qui m’avait achevé. La voiture avait explosé. l’effet du gaz et des flammes a été très tardif, mais le résultat était sans appel : l’explosion était phénoménale, des débris de voitures de part et d’autre de la route, les flammes grandissantes de plus en plus, la déflagration qui m’a soufflé et je ne voyais plus mes parents. Je ne les voyais plus ou alors j’étais trop loin pour les apercevoir. Dans les deux cas, le résultat était le même : j’ai perdu mes lumières, mes raisons, mes adorés, mes parents. Je me suis réveillé dans un hôpital qui ne devait pas être loin du lieu de l’accident. Artyom et Aleksey étaient assis respectivement à gauche et à droite. La chevelure châtain de Artyom était mouillée sans doute à cause de la neige. Il me regardait avec son sourire protecteur et ses yeux verts brillants cernés. À gauche, Aleksey me regardait avec ses yeux gorgés de larmes et son nez rouge. Il se retient de pleurer comme d’habitude parce que pleurer « c’est pour les gonzesses »… Ses cheveux teintés en rouge avaient une drôle d’allure, ils n’étaient pas attachés et mouillés aussi. Ils auraient été presque beaux si il avait choisi une autre couleur. C’est quelques temps après cet évènement que Artyom avait décidé de déménager. Je n’étais pas d’accord parce que c’est comme renier le passé mais je n’ai aucun pouvoir dans cette famille de toute manière. Nous sommes à présent à moins de 6h de route de Lakeville. Demain est un nouveau jour : Artyom fera professeur de Russe au lycée Lakeville South High School, le même lycée dans lequel Aleksey et moi allons être scolarisés. Demain est un nouveau jour.

[ ALEKSEY]

Ça fait des plombes qu’on est dans la caisse. Les deux autres pensent que je dors, mais je pense. Et si je ronfle c’est parce que j’ai le nez bouché, c’est normal vu qu’on est en Septembre. Tout les gens qu’on a vu dans les précédentes stations essences sont que des frileux, ils se plaignent du froid alors qu’ils n’ont jamais vécu en Russie… Bon j’avais 9 ans et tombais souvent malade, ce qui fait je restais souvent à la maison… Mais ça n’empêche en rien le fait que le froid de Russie n’a rien à voir avec celui des États-Unis ! Les américains sont vraiment des chiffe-molles. J’ai pas hâte d’arriver au Minnesota, même si j’ai été d’accord avec Artyom. Il est vrai que je pense qu’il est mieux d’enterrer les anciens souvenirs de Boston… Mais d’un autre côté je suis certain que ça dérange le Vojd. Il n’a jamais voulu nous expliquer pourquoi il s’opposait à notre départ de Boston. Il a ses raisons et ça se comprend. En tout cas une fois arrivée au lycée, si des gens le charrie, je les démontent. On touche pas à ma famille. J’étais en train de penser tranquillement dans le pick-up lorsque Artyom et Anton sont sorti se balader. J’ai un peu l’impression que Artyom essaie de nouer un espèce de lien presque paternel avec Anton… Et ce dernier en a bien conscience, ça s’entend rien qu’à sa voix. Sans vouloir me vanter, j’ai toujours été plus proche de Anton que lui, mais je n’ai pas a interférer dans leur relation. Notre pauvre Vojd a toujours eu du mal à se faire des amis… Ça m’attriste de le voir aussi vide, lui qui avait un esprit artistique et coloré. Moi je m’en fiche d’avoir un travail, de payer les factures, tout ça je trouve ça plus que barbant…  Mais lui il devait être destiné à avoir une vie de dingue ! Il était trop gentil pour ce monde brutal. Maintenant notre Vojd a plus d’enthousiasme qu’un croque-mort. Demain nous arriverons chez nous, on installera les meubles et rangerons nos chambre. Anton déteste qu’on l’aide à porter des trucs, que l’on ramasse des choses lorsqu’il les fait tomber, qu’on lui tienne la porte. Des fois, il est même méprisant lorsqu’on l’aide à l’installer sur sa chaise.
Notre arrivée dans ce lycée m'inquiètes... Du moins je suis inquiet pour Anton. J’espère que ça marchera en cours. Je pense que je vais tomber sur une bande de gros lourdauds, le Minnesota n’es pas connu pour sa grande capacité intellectuelle. Mais Anton reste mon principal sujet d'inquiétude : il est à peine arrivé à se faire des amis à Boston… 2 ou 3 je crois, vraiment pas plus et encore que des gens bizarres, genre des emos, ou des dépressifs... Il a dit que ça l'amusait de les réconforter bien qu'ils aient "leur vision des choses" selon lui.
  Demain nous franchirons le portail ensemble, les regards ensemble, les messes-basses et les ragots ensemble. Nous affronterons l'enfer des adolescents remplis de préjugés et faibles voire fermés d'esprits. Demain est un autre jour.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 04, 2018 ⏰

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