Chapitre 7 : Matt et Anglais

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Mardi 5 septembre 8h18

REBECCA – batteuse de Sweet Poison

— Grance Rebecca, vous avez huit minutes de retard sur le début de ce cours. Merci de passer par la case vie scolaire pour récupérer un billet, m'indique la prof, les yeux plissés derrière ses lunettes, au moment où je pousse la porte de la salle de maths.

Fuck.

Hier soir, nous avons reçu le mail d'un label intéressé pour signer et enregister un EP avec Sweet Poison. Sweet Little Poison Called Love qui est le groupe composé des bras cassés suivants : une pile électrique hyperactive, un Coréen né en France par accident, un leader sans autorité et moi, l'obèse cynique. Pour compenser l'énorme coup de bol d'avoir trouvé un professionnel assez timbré pour nous recruter, un violent retour du karma était nécessaire. Grâce à la prof de maths, je rembourse ma dette dès ce matin.

— Je serais encore plus en retard en allant à la vie scolaire.

La prof me fusille du regard. J'aurais tenté. Dommage.

— Vous voulez une heure de retenue pour insolence ?

Je soupire. J'ai vraiment la flemme d'y aller. Le hall est froid et nous sommes à l'autre bout du bâtiment. J'hésite à insister quand un raclement de chaise se fait entendre. Mes yeux tombent sur Kwan. Le demi-Coréen me fixe, le regard aussi noir que la prof, et articule silencieusement « Non ». Je crois qu'ils se sont tous passés le mot pour m'emmerder aujourd'hui.

Je bats en retraite.

— Non, Madame. Je m'excuse.

— On ne s'excuse pas soi-même, Rebecca. Dépêchez-vous d'y aller, s'il vous plaît. Il y a eu assez de temps perdu comme ça.

Avec un sourire sarcastique, je referme la porte et retrouve ma solitude dans le couloir.

La salle de maths est au deuxième étage et la vie scolaire au rez-de-chaussée. Je laisse tomber mon sac de cours contre le mur. Si quelqu'un veut piquer mes bouquins, qu'il se fasse plaisir : ça leur fera prendre l'air.

Ironiquement, c'est par excès de bonté que je suis en retard ce matin. J'ai raté mon bus parce que Grance numéro trois, après s'être disputée avec numéro deux pour une histoire de brosse à cheveux, s'accrochait à mes basques en me réclamant un câlin. Un câlin. À moi. Cette gosse est tarée. Et c'est d'origine génétique puisque ma mère a pris sa défense au prétexte que : "Tu es sur le point de partir, Rebecca. Embrasser sa sœur, c'est quelque chose qui se fait". J'allais partir en cours, oui. Pas faire du camping naturiste en Irak.

De façon générale, un conseil aux parents : arrêtez de montrer la Reine des Neiges et cie à vos enfants. On se retrouve avec des gosses qui, comme Olaf ou le Père Noël, pensent qu'il est normal de vouloir prendre dans les bras la première personne qu'ils croisent. Laissez Disney donc en-dehors de l'éducation des gamins, ça vaudra mieux pour tout le monde.

Je vous épargne la description de notre vie scolaire. Vous avez sans doute déjà fréquenté un collège, un lycée ou n'importe quel établissement où on vous considère comme un dangereux délinquant qui pourrait s'échapper. Vous avez donc une image de vie scolaire, découpez-la et collez-la dans notre lycée. Vu le manque d'originalité de ce genre d'endroit, l'assemblage ne devrait pas trop détonner.

Le surveillant a une expression ironique lorsque je m'avance vers son bureau.

— Wow, vingt-quatre heures qu'on ne t'a pas vue. C'est un nouveau record, non ?

— C'est ça, répliqué-je. Pense à l'envoyer au Guiness, je ne voudrais pas qu'ils m'oublient dans la prochaine édition.

Le pion pouffe et remplit mon coupon sans avoir besoin que je lui rappelle mon nom. C'est le seul avantage de ma situation.

Billet en main, je repars en sens inverse et ai droit à ma deuxième montée des longs escaliers en vingt minutes.

J'ai un avertissement pour Great Wave. Le label a eu la gentillesse de nous laisser le choix de la date pour les rencontrer sur Paris. Avec cette proposition, on peut attendre que SKIN en sache plus sur leur organisation et opter pour la même date qu'eux. Ça évitera aux Genêt de se coltiner la visite de la capitable en double. Cependant, si j'ai fait l'effort de retourner en maths plutôt que de passer mon tour pour la première heure, Great Wave a intérêt à se montrer à la hauteur.

Revenue devant ma salle, je reprends mon sac et toque poliment avant d'entrer. La prof acquiesce quand je pose ma justification sur le bureau.

N'ayant pas envie de discuter, je m'installe sur une table appuyée au radiateur près de la fenêtre. Mettre les radiateurs sous les courants d'air était encore une brillante idée de consctruction, soit dit en passant. Je croise les yeux de la prof de maths. Depuis le tableau, elle me scrute un moment, ballotée entre l'envie périlleuse d'exploiter ma soudaine placidité et celle de m'ignorer royalement. Elle se rabat sur la seconde option et interroge quelqu'un d'autre. Parfait. Le karma est rétabli et de bonne humeur. 

Skin vs Sweet Poison - let's rock !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant