L'investiture

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Mon cur bat la chamade. Plus que quelques mètres et je serais devant le perron. Encore une fois, la foule me porte, et les français postés en nombre de chaque côté de la rue du Faubourg Saint-Honoré me témoignent un vivifiant soutien. Je demande au chauffeur de marquer un temps d'arrêt. Je terminerai à pied. En sortant de la voiture, je croise le regard inquiet de mon officier de sécurité. Je n'en ai que faire. Mon rôle de Présidente est d'aller au contact de mes concitoyens. Quelques sifflets et autres quolibets se font entendre depuis les balcons -mon nouveau voisinage est plutôt sarkozyste- mais je fait fi de tout cela pour saisir au vol le joli bouquet de pivoine que me lance une petite fille aux cheveux blonds. Je suis aux anges. Après ce petit bain de foule, je franchis le porche et je pénètre dans la cour d'honneur. Je me rendrai compte bien plus tard que Jacques Chirac m'attends déjà depuis de longues minutes en haut du perron. Il n'avait pas prévu mon arrivée pédestre !

Me voilà ainsi, entourée de chaque côté par des gardes républicains, remontant le tapis rouge avec mon bouquet à la main. Les commentateurs souligneront l'aspect marital de mon entrée. C'est un peu vrai, je me marie en quelque sorte avec le peuple français !

Je gravis les quelques marches et je serre franchement la main du Président sortant. Il me conduit à l'étage, dans un bureau que je connais bien pour y avoir souvent conversé avec François Mitterrand.

Ma discussion avec Jacques Chirac est de très bonne facture, nous nous entendons bien depuis toujours. Je pense aussi, au fond, qu'il n'est pas mécontent de ne pas être en face de Sarkozy. Nous discutons de sujets très divers, allant des procédures nucléaires aux banalités météorologique. Je sens bien qu'il tente de jouer la montre Pour la première fois depuis 40 ans, il va se retrouver sans activité politique. Ça peut faire peur !

Toutefois, au bout de trois quart d'heures, le chef du protocole vient nous interrompre. Jacques Chirac se lève, ouvre grand les yeux et gonfle ses poumons, comme pour tenter de capturer une dernière fois l'ambiance de ce bureau qu'il a tant aimé occupé. Puis il me raccompagne. Nous rejoignons dans le vestibule François et Madame Chirac. Je sens que François est au bord de la crise de nerf, après plus de deux heures passées à prendre religieusement en note les multiples exigences et consignes de Madame Chirac, à propos du mobilier ou du jardin. Je sais que ce fut pour lui un moment presque humiliant.

Je remercie le couple Chirac, nous nous serrons une dernière fois la main, et je leurs promets de les réinviter rapidement à lÉlysée. Puis ils quittent les lieux sous les applaudissements des équipes.

Je n'ai même pas le temps d'une seconde pour profiter de l'instant. Le chef du protocole m'annonce que je dois immédiatement me rendre dans la salle des fêtes pour écouter la proclamation des résultats par le Président du Conseil Constitutionnel.

En pénétrant dans cette splendide pièce, je parcours rapidement les visages de l'assemblée. Je souris malicieusement. J'ai veillé à placer les éléphants entre des français lambda que j'ai tenue à inviter. Il y a par exemple Nolwenn, une jeune étudiante socialiste, Laure, une caissière de Champion que j'ai rencontré lors d'un déplacement à Valenciennes, Thierry, un ouvrier de Florange Pour la première fois, j'ai l'impression que le peuple rentre à lÉlysée.

Suite à la courte allocution de Jean-Louis Debré, je prononce moi aussi mes premiers mots de Présidente. J'annonce entre autres que je me rendrais dans la soirée à Berlin pour y rencontrer la chancelière, et que mon gouvernement sera annoncé en fin d'après-midi par Jean-Louis Bianco, le nouveau Secrétaire Général de lÉlysée. Il connaît formidablement bien le poste pour l'avoir déjà occupé sous François Mitterrand.

Ensuite, je vais serrer les nombreuses mains qui mattendent. Certaines sont chaleureuses, d'autres moins. Quant à celle de Laurent Fabius, je l'attends toujours ! En tant qu'ancien Premier Ministre, je trouvais bien entendu normal de l'inviter. Mais il n'a pas jugé utile de venir Son siège est donc resté vide.

Je suis toutefois heureuse de voir que François retrouve du poil de la bête. Dans son élément, il conduit allégrement la conversation entre les différents ténors socialistes. Je remonte quant à moi dans ce qui est désormais mon bureau. Je prononce certaines nominations comme celle de François Rebsamen au poste de Chef de Cabinet, de Sophie Petersen à celui de Conseillère Spéciale et de Françoise Debois aux Relations avec la Presse. Je procède également à l'attribution de crédits d'urgence pour la Défense.

Je n'ai que peu de temps, car je dois vite me rendre l'Hôtel de Ville, pour la traditionnelle rencontre avec le Maire de Paris.

Je suis certaine qu'il l'ignore, mais j'apprécie beaucoup Bertrand Delanoë . C'est un homme bon et qui sait comment intéresser son hôte. Ayant eu connaissance de ma passion pour Jeanne d'Arc et pour l'héraldique, il me présente un exposé complet des armoiries de la ville de Paris. Pendant ce temps, François, qui m'accompagnait, discute dans une autre pièce avec Anne Hidalgo.

Je serai bien volontiers restée plus longtemps au sein de l'Hôtel de Ville, mais il me faut encore repartir en éclair. Je ne vais pas très loin, car j'embarque avec François à bord d'un zodiac de la police fluviale pour remonter la Seine. Je m'amuse beaucoup, mais j'ai une grande frayeur, car François manque de tomber à plusieurs reprises. Nous accostons sur les quais de l'Assemblée Nationale, puis direction la Place de la Concorde en bas des Champs-Élysées pour la sempiternelle remontée de l'avenue.

J'innove là encore, puisque je demande au chef d'état-major de ne pas monter avec moi dans la jeep. J'ai ainsi un moyen de réaffirmer la puissance du politique sur le militaire. Je ressentirai également une grande fierté en étant la première femme à raviver la flamme du soldat inconnu.

Au terme de toute cette parade, on me présente mes appartements privés à lÉlysée. Je demande à ce que l'on mamène François afin qu'il ait son mot à dire sur la chambre qu'il préfères. J'apprends qu'au terme de notre aventure fluviale, il a demandé à être conduit à la gare pour attraper le prochain train pour Tulle. Évidemment, il lui est désormais impossible de prendre le train, et il fut finalement conduit sur place en hélicoptère. Je suis encore une fois un peu blessée Il aurait pu au moins me prévenir de ce départ si soudain. Je comprends malgré tout qu'il lui faille faire campagne pour sauver son siège de député, les législatives sont dans un petit mois seulement.

Je dois ensuite prendre l'avion pour Berlin. Avant de quitter lÉlysée, je demande subtilement aux services de faire embarquer discrètement certains de mes soutiens politiques avec moi. Chevènement, Montebourg et Lang seront ainsi du voyage, mais ils resteront dans l'avion. Personne ne les verra monter, personne ne les verra sortir. J'embarque aussi mes conseillers Patrick Mennucci et Najat Belkacem.

Durant le vol, nous pouvons ainsi placer nos pions pour la future guerre intra-gouvernementale. Face à DSK, il nous faudra jouer de notre intelligence collective. Pendant ce temps, au sol, Jean-Louis Bianco annonce aux médias la liste du gouvernement.

Si j'ai réuni tout ce beau monde, c'est pour leur annoncer mon stratagème. Je n'entends pas me laisser dicter le nom du prochain Président de l'Assemblée. Je sais que Strauss-Kahn va tout faire pour y placer son ami Bruno Le Roux. Pas question. Je surprends tout le monde en annonçant que je veux que ce soit Najat.

- Ségolène, tu ne crois pas que c'est très risqué de proposer Najat ? Elle se présente pour la première fois à la députation

- Non Arnaud. Najat représente parfaitement la révolution politique que les français attendent. Des députés à leur image !

- Madame Je Je ne sais pas si j'aurais les compétences et surtout le poids politique.

- Tu l'aura Najat. Tu l'aura.

Je sais que c'est risqué, je sais que le PS ne va pas apprécier, mais tant pis. Vaille que vaille, il est temps de bousculer les équilibres. Najat accepte finalement ma proposition. Quant à Patrick Mennucci, je souhaite qu'il s'infiltre dans l'appareil du PS. Car, il me fallait surveiller François pensai-je alors Ce sera finalement d'autres qu'il faudra surveiller. Je ne le saurai qu'après.

Ma visite à Berlin se passe mal. Contrairement à ce que j'aurai pu penser étant donné notre parcours similaire, je n'ai pas beaucoup d'atomes crochus avec Angela Merkel. Une visite pour rien. Je repars rapidement pour Paris.

Elle Seule.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant