New-Seattle, Quartier B.7, Manoir di Cani, 4 mai 2314
Lierre suivit l'homme en costume sans dire un mot. Lorsqu'ils entrèrent dans un tunnel souterrain, elle vérifia qu'un stylet était bien suspendu à sa ceinture. L'éclairage à basse intensité qui oscillait dans le couloir la replongea aussi dans ses souvenirs. Elle s'assura que l'homme devant elle était toujours seul. Il ne représentait pas vraiment une menace, aussi décida-t-elle de se détendre un peu et de revivre le matin même.
***
— Tu n'as pas froid ? demanda-t-elle à Amarante avec un sourire mesquin.
— N'abuse pas de ma patience ni de mon hospitalité, grommela la femme avec un frisson.
Christale observa l'appartement d'un regard circulaire. Avec de la lumière et sans l'odeur âcre de sueur maladive, la grande pièce était plutôt jolie. La caporale rouge aussi semblait avoir beaucoup changé dans la nuit. Elle avait un aspect presque fragile si on ne tenait pas compte de son regard ou du couteau qu'elle tenait pour étaler de la margarine de synthèse sur une espèce de pain plat.
Le studio comptait un petit espace réservé aux ablutions. Le bord du bidet était agrémenté de poussière qui formait des petits grumeaux pour marquer de vieilles éclaboussures. En dehors de la collection impressionnante d'armes blanches, du lit et du bureau, le reste semblait vide aux premiers abords. Mais en regardant mieux, on finissait par voir ce qui semblait être des motifs dans la poussière.
L'adolescente se releva pour aller voir de plus près alors que son hôte avalait sa troisième tartine. La torpeur empêcha cette dernière de réagir avant que son invitée n'ait compris qu'il s'agissait de dessins recouverts de moutons. Amarante la fusillait du regard.
— C'est secret. Si quelqu'un en entend parler tu es morte, annonça-t-elle froidement.
Christale observa encore quelques minutes avant de revenir s'asseoir pour chiper la dernière viennoiserie. Elle était un peu molle mais le larcin en améliorait le goût. Elle avala encore un verre d'eau puis se releva.
— Je dois encore me préparer pour annoncer le plan, déclara-t-elle en guise d'excuse.
— Attends, murmura la femme, penaude. Ça aussi c'est censé être secret, ajouta-t-elle en montrant la cicatrice.
— D'accord.
— Merci, je te libère de ta promesse pour l'autre nuit.
— Demi-nuit, pinailla l'adolescente.
— N'abuse pas de ma patience, prévint à nouveau Amarante en reprenant du poil de la bête. J'aurais bien voulu te remercier avec une lame de ta valeur. Mais en attendant d'en trouver une ...
Elle ouvrit l'un des tiroirs que son invité n'avait pas eu le temps de forcer et en sortit un stylet qu'elle fit jouer dans sa garde.
— Je te le prête. Il a appartenu à Acacia et m'a permis de tuer celui qui occupait ce poste avant moi. Ne le perd pas, ne l'abîme pas et, surtout, ne le montre pas, insista-t-elle. Sauf à ceux qui ne pourront plus témoigner.
***
Lierre n'était toujours pas sûr qu'Amarante ait tenté de faire de l'humour mais elle revint au présent. L'homme lui désignait une porte qu'il avait ouvert. Elle entra avec précaution et sans présenter son dos à l'ancien médecin.
La pièce était basse de plafond mais ce n'était pas un inconvénient pour Christale qui avait moins d'un mètre soixante. L'homme, en revanche, se baissa légèrement pour esquiver une poutre apparente agrémentée de quelques clous. Il y accrocha son borsalino et sa veste avant de s'asseoir enfin face à l'adolescente. Elle s'était déjà occupée de libérer sans ménagement le meilleur fauteuil du fatras qui y était empilé. Elle s'était assise dessus pour décontenancer l'homme mais il n'en laissa rien paraître.
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Les Achroniques - 2314, tome 1
Science FictionChristale, 16 ans et demi, est l'héritière très contestée de la mafia de la plus grande ville de l'histoire. Saura-t-elle survivre aux conflits entre les Familles et au désert urbain que sont devenus les quartiers de l'Est ? Plongez à ses côtés dans...