Au Nom du Père, du Fils et de tout le reste...

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C'était un dimanche très dominical, avec une messe un tantinet sermon. Ma chère mère, bouche bée, larmes au bord des yeux, s'émerveillait comme à son habitude des paroles du prêtre, tandis que mon père buvait ces sentences doucereuses comme un millésimé, avec cet air hagard que l'on retrouve chez les alcooliques les plus timorés. Cela, c'est ce que j'imaginais à les avoir vus tant de fois, suspendus aux paroles du prêtre, aussi émerveillés qu'un mendiant à qui l'on jetterait trois sous. Entre eux, Merry, ma petite sœur, soufflait son ennui par les naseaux, brimée de petites claques et de « chut » à foison, jusqu'à être réduite au silence et subir le prêche.

Moi, je n'étais pas avec eux à savourer cette pénible corvée sur un banc trop rude pour mon auguste fessier, coincé entre ma grenouille de bénitier de mère et un vieux aux odeurs de naphtaline, mais libre, étendu comme une vulgaire crêpe dans mon lit confortable, les yeux mi-clos et les membres engourdis, la bouche encore plus pâteuse que lors d'un lendemain de cuite. À bientôt dix-sept ans, j'étais heureux de ne plus subir ces paroles nauséabondes, peu importe qu'ils en fussent fâchés au point de ne plus me considérer comme leur fils.

Tranquille, je divaguai au gré de mes pensées païennes, matinées d'une couche ouatée de pornographie : des souvenirs de ce magazine au papier glacé planqué sous mon oreiller. Quel dommage que ma main, beaucoup trop lourde, comme paralysée, m'empêchait tout accès à celui-ci, ainsi qu'à mon sexe, tout aussi engourdi. Peu dégourdi malgré mes pensées, je me voyais condamné à ne rien faire jusqu'à ce que mon corps, moins rétif, m'obéisse tout à fait ! En somme, un dimanche comme tous les autres, ou presque !

C'est alors que, sans crier gare, ils entrèrent avec frénésie, défonçant presque ma porte d'entrée, sans même tenir compte de mon avertissement : Keep Out ! Les adolescents un peu rebelles tels que moi n'aiment pas les intrusions dans leur intimité, surtout avec des parents aussi puritains - et mal intentionnés. Ma mère, paniquée, les yeux exorbités, suivie de mon géniteur, toujours aussi calme, nonobstant un regard noir. Et, cette fois, ils n'étaient pas seuls, les bougres !

Ils étaient accompagnés du très contestable Père Melas, plus conservateur qu'un litron de formol et dont le rictus, s'il enchantait les grenouilles, suintait une hypocrisie flagrante et une accoutumance pas vraiment fortuite à certaines déviations qui papillonnaient, auprès de certaines bouches. Ce dernier tenait dans ses mains roses porcines un sac en toile de jute, aussi immonde que crasseux, qu'il posa aussitôt au sol. D'un air solennel, il caressa sa croix de ses doigts boudinés, l'embrassant avec ses grosses babines, avant de poser ses yeux pervers sur moi.

« C'est lui ? tonna-t-il d'une voix si théâtrale que j'aurais pu en rire, si mes lèvres n'étaient si ankylosées, ma langue si peu mobile.

- Oui, c'est notre fils, Logan ! lança mon père sur un ton plus consterné que fier.

- Est-il baptisé ?

- Oui, Mon Père, c'est vous qui vous en êtes chargé ! pleurnicha ma mère, les mains tremblantes.

- Ah, je ne m'en souviens plus ! C'était il y a si longtemps... Vous savez, les enfants se ressemblent tous... on en voit défiler ! Hélas, ils grandissent trop vite et quittent le troupeau. Mais qu'importe ! Avez-vous fait ce que j'ai demandé ?

- Oui, nous avons mis une goutte de votre décoction dans son verre !

- Parfait, n'ayez crainte ! Tout se passera bien pendant l'exorcisme ! »

L'exorcisme ?

Quelle était donc cette histoire saugrenue ? Cette folie même ! Sans doute encore l'un de mes rêves tordus : ces délires oniriques semblaient parfois tant se conformer à la réalité qu'ils étaient en tout point crédibles. Évidemment, vu la lourdeur de mes membres, il m'était impossible de m'extraire de cette fantaisie inconsciente en me pinçant, ce qui, au final, ressemblait plus à un cauchemar qu'à un simple songe !

Bradbury's BabiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant