L'eau

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Leurs voix tonnaient dans la petite maison douillette, entraient en résonance avec le bruit continuel de la maison, que ce soit la machine, la télévision, le grésillement des ampoules. De petites gouttelettes s'abattaient sur la fenêtre de sa chambre, provoquant un petit bruit sourd. Le reflet de son âme. Elle tentait de faire abstraction des cris qui s'élevaient dans la pièce principale, se replongeant dans sa lecture le mieux qu'elle pouvait. Elle finit par abandonner l'idée d'une quelconque tranquillité. Les voix continuaient leur vacarme assourdissant, déchirant son cœur et sa tête. Les paroles prononcées reflétaient la colère et la douleur. Elle reposa doucement son livre sur son bureau, renonçant au plaisir et à la distraction de la lecture. Les petites gouttelettes devinrent plus grosses encore, prirent de l'ampleur à l'image des insultes pour s'écraser violemment contre la vitre. Son visage était sombre et se fondait parfaitement dans la semi-obscurité de l'extérieur, le ciel était lourd de nuage chargé. Elle finit par se rouler en boule dans sa couverture, cherchant chaleur et réconfort. Elle observait la porte blanche légèrement entrouverte, le regard perdu. À côté, le couloir était plongé dans la pénombre la plus totale, il était presque impossible de distinguer quoi que ce soit, même si elle connaissait la pièce par cœur.

"Ne pas pleurer". Les voix ne s'arrêtaient pas. Un bruit de porte s'éleva, les escaliers grincèrent mais la course de la personne s'accéléra. Une autre voix, plus petite, moins imposante, moins violente entra en contact avec les deux autres, les suppliant de stopper leur tapage. Rien n'y fit.

"Ne pas pleurer". Les cris redoublèrent pour former un amas de mots incompréhensibles. La violence se décupla, prenant tout l'espace du vide, s'incrusta dans sa peau, dans ses pensées. Il lui semblait que les murs de la maison s'imprégnaient de ce bruit plus que désagréable. Un goût amer lui parvint dans la bouche. Le goût du dégoût, de la lassitude.

"Ne pas pleurer". Quelques larmes délicates perlèrent au coin de ses yeux. Une secousse la parcouru. Elle se reprit. Aucunes d'entre elles ne coulèrent. Elle essuya rapidement ces gouttes de cristal. Aucuns pleures, aucunes plaintes ne franchiront ses lèvres gercés.

"Ne pas pleurer, ne pas craquer, ne pas s'énerver".

Elle entendit des plaintes venant de la pièce maudite. Des geignements provenait de la petite voix. Elle aurait voulu aller la consoler, s'interposer, crier sa souffrance, prendre part à cette mascarade beaucoup plus fort qu'eux pour mieux encore se casser la voix, mais elle ne fit rien. Trop faible. Pas assez de courage. Pas assez de force. Les voix s'emplifièrent. La tonalité des verbes résonnaient dans son esprit. Ils étaient creux. Les deux voix continuaient de s'insulter, la pluie martelait les vitres de plus en plus fort, elle se retourna vers sa fenêtre et observa cette eau provenant des hauteurs. Le ciel était obscure. De la vaisselle tomba, mais ils n'en n'avaient cure, ils préféraient se lancer des immondices au visage et cracher la haine actuel qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre.

Des bouts de glace se mêlèrent à ce fluide céleste, cognant fortement sa vitre. Elle avait mal à la tête. Le ciel s'obscurcit​, tout comme elle-même, il faisait de plus en plus sombre. Elle sentait son nez piquer. La colère, le dégoût.

Une petite chose duveteuse et câline vient lui lécher la joue. Pas maintenant petit animal. Elle repoussa doucement le petit rongeur, caressant son dos par la même occasion. Les voix en bat continuaient de clamer leur fureur, ce mélangeant à la télévision. Encore les infos.

Son cœur: lourd, peiné, cassé. Pourquoi était-ce si douloureux d'entendre les voix principales se détester? Il n'y avait pas de logique dans cette souffrance, elle, elle était juste sur son lit à les écouter. Elle ne se les prenait pas, les mots.
Son âme: broyée, piétinée, déchirée. C'est si pénible d'écouter deux cordes vocales?
Sa raison: envolée, enfermée, insondable. Elle ne savait plus quoi penser. Alors elle se terre. Encore un peu, juste un peu plus. Comme ça.

Les grêlons cassent la vitre, transpercent son esprit, la tapent à l'image du verre protecteur. Toujours se serrer dans sa couverture. La pluie coulait sur les vitres, intarissables, elle la regardait couler vite, tout de suite remplacer par un flot interminable. Elle se sentait vide, ses pensées elles-mêmes se résumaient au cris en bas.

Une transition se fit, les voix hurlèrent moins forts, moins vites. Elle entendit des bruits de pas, ils marchaient dans la maison. Un trousseau de clef fut déplacé. Les cliquetis remontèrent jusqu'à elle, pour ne former qu'un amas incompréhensible. D'autres mots étaient prononcés, toujours aussi creux, inutiles, vides, méchants, mais plus doucement. C'était tout aussi insupportable, peut-être même pire, comment pouvait-on à la fois être aussi calme et agressif? Question stupide. Elle se sentait elle-même écrasée par chaque pas qu'elle entendait.

Les voix se calmèrent, plus aucun son n'était produit, laissant place à un silence perturbant. Elle ouït un bruit de moteur, ils étaient partis. La tempête était passé, le soleil revenait. Et dehors la pluie s'était arrêtée.

Un jour de pluie.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant