Je marche au bord de la route, ne sachant pas où je vais. Je ne vois rien et les réverbères n'éclairent qu'un cercle de route tous les vingt mètres. J'aimerai tellement le voir, là maintenant. Il me manque. Je ne sais absolument pas où mes pieds m'emmènent. Au bout d'une heure je crois, je me retrouve devant un bar, je passais souvent devant en rentrant de l'école, mais je n'ai jamais osé y entrer. À chaque fois j'imaginais ce que je pourrais y trouver, des gens de toutes sortes : des motards avec des casques et des bandeaux pour distinguer les bandes, des punks avec des tas de tatouages et de piercing bizarres sur eux, des pédophiles qui matent le cul des serveuses, les serveuses habillées à moitié, des bandes d'ados riches fils à papa qui viennent pour frimer. Je pourrais continuer longtemps mais le spectacle à l'intérieur lorsque j'entre me remets les pieds sur terre. C'est exactement comme dans mon imagination : sur les tables de droite c'est le groupe des punks, sur celles de gauche les motards, en face les étudiants, et les pédophiles sont assis au bar. Je me dirige à une table libre près des étudiants la tête en bas pour éviter de croiser le regard de ceux qui me scrutent. Je m'assieds et là un des mecs sur la table d'à côté vient me voir.
"Salut !
- Salut, je marmonne et fixe la table
- Je m'appelle Ian, et toi ?
- Emilie, je risque un regard et regrette immédiatement : il est beau comme un dieu !
- T'es déjà venue ici ? Il ne me semble pas te reconnaître."
La serveuse me demande ce que je veux et je demande un bourbon, ma mère dit souvent que ça aide à panser les blessures. Elle me dit qu'il faut une pièce d'identité, mais avant que je ne lui dise que je n'en ai pas, Ian commande un bourbon et dit que je prendrai de l'eau. Quelques minutes plus tard, la serveuse revient deux verres à la main. Ian échange nos verres et me demande :
"Un bourbon c'est pas un peu fort pour toi ?
- Si tu le penses alors pourquoi en as-tu pris un pour moi ? Je souris en lui répondant et le regarde dans les yeux, ils sont d'un bleu ! Comme mon Thanatos*... ma créature que je vois lorsque je ferme les yeux.
- Alors Emilie, tu étudies où ?
- À la LNHS
- Oh...
- Quoi ?
- Et bein je pensais que tu étais étudiante à l'université"
La conversation continue et il me commande un autre bourbon. Au bout du troisième je ne suis plus ce qu'il dit. Je le vois bouger les lèvres et j'entends des bribes de mots mais c'est comme regarder un film où la voix est décalée par rapport à l'image. Tard dans la soirée, il me pose une question je crois parce qu'il a l'air d'attendre ma réponse, qui vient mais je ne sais pas du tout ce que j'ai dit. Il se lève et s'en va avec ses potes visiblement vexé. Je pense qu'il m'a demandé de me raccompagner mais j'ai dû refuser. Je n'ai plus les idées claires, je me lève et je sors. Après avoir passé la porte, je me retrouve sous mon arbre, comme si le trajet avait été effacé de ma mémoire. Je suis recroquevillée dans son creux pour combler le manque en espérant que cela comblera le mien. Je suis tellement bien là, entourée de l'être le plus sage que je connaisse, d'un environnement sain, innocent et énormément puissant en même temps : Mère Nature.
Je me dorlote paisiblement, essayant de ressasser mes souvenirs un à un dans l'espoir de trouver où est-ce que j'ai merdé, qu'est-ce que j'ai bien pu leur faire pour qu'ils s'en prennent à moi, comment j'ai mérité ça. Rien, je ne trouve rien. Je me remémore la scène du passage du collège au lycée, ils organisent toujours une sorte de fête pour célébrer les élèves qui passent. Ce jour-là j'avais bu ; lorsque mon père nous a abandonnés, il m'a laissé sa flasque. Ce que j'ignorai, c'était qu'elle était encore pleine. Lorsque j'ai découvert le liquide transparent en voulant la jeter, j'ai quasiment vidé son contenu. Résultat, je suis arrivée éméchée à la fête, ma robe était de travers, mon maquillage était digne de celui du joker et je puais l'alcool mélangé à l'abus de parfum. Je me suis tapée la honte de ma vie et j'ai vomi sur Kate - la pimbèche du lycée, et avec Stefan, ils forment le couple parfait et persécuteur qui règne sur le lycée, tiré tout droit des films pour ado. Bien qu'elle m'appréciait peu, maintenant elle me déteste. Ce fut un fiasco total, je me suis retrouvée dans le bureau du directeur, ma mère a été convoquée et j'ai revomi sur la table en bois de chêne vernis. Je me suis retrouvée exclue pendant une semaine et ma mère a reçu de sérieuses mises en garde contre la sécurité sociale. Le vieux barbu l'a menacé de lui faire retirer ma garde. Elle était tellement en colère ce jour-là, mais je crois que c'était plus sur elle-même ou sur mon père que sur moi. Elle ne m'a pas puni mais elle m'a fait le discours qui marche à chaque fois du "je ne suis pas en colère, je suis juste déçue patati, patata" pour me faire culpabiliser. Le lendemain, en plus de la gueule de bois qui m'a cloué au lit toute la journée, j'ai pleuré comme pas possible, je venais de me rendre compte de ce qui c'était passé la veille et je regrettais amèrement. Aujourd'hui encore, je regrette. Un autre souvenir qui me revient, c'était lorsque je venais juste de finir ma semaine d'exclusion, j'allais à mon premier cours et en passant par mon casier, je vis une lettre avec un message à l'intérieur : À minuit devant Pitadelle (Pitadelle était le nom du fondateur de l'école, et une statue fut érigée à son honneur). Je fus emplie d'une joie immense, tout le monde savait que cette statue était le point de départ de tous les couples. Jean-Louis Pitadelle était un faiseur de miracles, ou bien c'était peut-être lui cupidon, je ne savais pas trop, mais ce qui était sûr, c'était que j'avais un rendez-vous et que ça ne m'arrivait jamais. A la fin des cours, je me suis précipitée jusque chez moi pour avoir le temps de me préparer et de me faire belle. Je m'étais mise sur mon trente et un pour ce soir. Lorsque j'arrivais, un énorme saut rempli d'un liquide coloré et visqueux se vida sur moi, Stefan arriva, il fit une grimace de dégoût et me prit en photo. Le lendemain elle avait fait le tour du monde, et surtout du lycée. Elle avait un million de vues et environ dix-mille commentaires. La légende disait "Œil pour œil, vomi pour vomi" accompagné d'un smiley qui vomi puis d'un qui rigole. Cette blague était une vengeance pour ce que j'avais fait à sa pauvre chérie. Le lendemain, je recevais des regards amusés, des messes basses et j'ai eu droit à un surnom pendant environ trois mois : "vomi". Je me décompose en repensant à ce souvenir. Des larmes jaillissent de mes yeux en amande cernés par la fatigue. Et c'est à ce moment-là qu'il arrive. Il surgit de nulle part et se dirige vers moi en flottant, de sa manière si gracieuse.
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Death Love
Teen FictionCroyez-vous-en la mort ? Pas moi, enfin, jusqu'à ce que je la rencontre. Je m'appelle Émilie, j'ai 16 ans, et voici ma plus grande histoire d'amour... avec la mort en personne. Émilie vient d'avoir 16 ans quand toute son existence va basculer. Pris...