Projet V. : Broutilles

Les réverbères

Aux tempes de Walls, le sang battait à tout rompre. Son poids le fit vaciller un instant vers l'avant avant qu'il ne se redresse une troisième fois. Lentement, il leva ses poings à hauteur de son visage, en posture de parade, jambes souplement fléchies. Le coup suivant ne tarda pas à venir. Le garde du corps visa durement l'abdomen de Walls d'un uppercut. La brutalité de l'impact arracha au jeune inventeur un gémissement plaintif. Titubant en arrière, sa gorge se remplissait déjà de la saveur acre de la bile et de l'alcool mélangé à l'hémoglobine.

• Abandonne. T'fais pas l'poids, gamin.

Intervint Francis, patron du Blackhawk, le plus célèbre pub de l'Empire. Blasé, il soupira en observant le chétif à la toison de boucles épaisses retenir un haut le cœur en reprenant sa posture de combat. Le tôlier ne portait pas spécialement l'adversaire des Walls dans son cœur, Callum Brown, un aristocrate bigot aux yeux de fouine, ni même sa brute antipathique. Toutefois, il valait mieux ne pas se mettre à dos ce type de loustic. Puis, il n'aimait pas les tâches de sang sur son précieux comptoir. Aussi, il héla son videur, un grand gaillard à la peau d'ébène, Akash.

• Dégage-moi les deux Walls.

A l'ordre, le colosse se dégagea de l'embrasure de l'entrée et s'approcha de sa démarche souple du plus grand et roux des deux Walls. Percy, encore encastré dans son tabouret brisé, se leva péniblement, résigné, les mains en l'air en signe d'apaisement.

• C'bon, c'bon. T'mettras l'tabouret sur mon ardoise, Patron.

Moins obéissant, le Walls à la tignasse folle, Jean, se faufila comme une anguille. Profitant de la confusion, il attrapa lestement le poignet de Brown et souffla quelques mots incompréhensibles. Akash saisit le col de sa veste tout de suite après et le souleva comme une poupée de chiffons. Il le traîna vers la porte tandis que Jean marmonnait toujours, un vague sourire étirant ses lèvres ensanglantées. Son éviction musclée fut éclipsée par le rire tonitruant de Brown. Désagréable, le son jeta un froid dans l'établissement. Frottant son poignet d'un mouchoir, l'air dégoûté, Callum fixait la sortie du jeune Walls avec une passion malsaine vrillée au creux des reins et au fond des yeux.

• Quelques petits succès de rien du tout et voilà que les petites mains prennent la grosse tête et s'imaginent pouvoir dompter la Magie ! Les Douze nous préservent d'un tel malheur ! Des ouvriers et de la magie ! Autant fournir des armes à des Kequash !

Ponctua-t-il à l'attention des quelques gentilhommes l'accompagnant comme s'il détenait là le bon mot de la décennie. Si ses camarades ponctuèrent la déclaration de quelques rires polis, Brown récolta surtout des regards noirs. La majorité des clients de l'établissement était issue de la classe sociale qu'il critiquait gratuitement. Pourtant l'homme d'affaire n'en avait cure. Il fixait toujours le jeune Walls lui ayant tenu tête précédemment, une passion malsaine vrillée aux fonds des reins. Dans sa malveillante caboche avait germé une idée : Kidnapper le jeune Walls.

Après une petite enquête et quelques billets glissés dans les bonnes poches, Brown en avait déduit que l'identité réelle du fameux Baron Périlleux, le plus grand inventeur du siècle, ne pouvait qu'être le jeune Walls. A de multiples reprises, il avait tenté, sans succès, d'espionner ou subtiliser les brevets des ateliers Walls à la faveur desquels Brown Industries avait perdu plusieurs contrats juteux. Pour endiguer l'hémorragie financière et desserrer les serres avides de ses actionnaires, enlever celui qui était capable de lier magie et technologie avec une telle précision pour le forcer à créer une nouvelle gamme de navires volants ainsi qu'une flopée d'innovations pour l'armée impériale paraissait tout à fait justifié. Dompter le jeune ingénieur ne prendrait guère plus que quelques coups et menaces, pensait-il. Après tout, il ressemblait tellement à une jeune rosière délicate qu'il suffirait de peu pour le briser. Satisfait, un sourire ourla ses lèvres fines. Il termina son whisky presque sans rechigner sur les prolétaires de l'établissement.