Les étoiles scintillaient. Leur éclat paraissait presque divin, et leur nombre si puissant recouvrait l'entièreté du voile bleuté. On aurait dit un de ces tableaux fleuris de doigts moroses et esseulés. Ce paysage avait dissimulé à travers sa beauté quelque chose de mélancolique. Et quand bien même ce n'était pas discernable à la vue, c'était perceptible au ressentis.
L'écho du vent et le temps des adieux nous berçaient légèrement. Nous planions au-dessus de tellement de terre, peut-être était-ce la richesse qui avait poussé nos aînés à la guerre ?
Ma tête était trop lourde et mes pensées trop endolories pour me laisser en réflexion plus longtemps.
Seuls mes yeux et mon cœur semblaient fonctionner.« Je m'excuse pour l'attitude de Krokmou, ça ne lui ressemble pas... »
J'acceptais silencieusement son pardon en le sentant respirer.
« Tu sais, même si ça ne fait qu'une semaine que l'on se connaît, je tenais à te dire que je n'éprouve aucun mépris envers ton royaume.
— Pareillement, peut-être serions-nous amis si nous n'avions pas été ennemis ?
— Je n'en doute pas une seconde ! Qu'as-tu pensé de mon village ?
— Je n'ai pas eu le temps de le découvrir à vrai dire, mes yeux étaient fixés au sol. Mais il était bruyant, et il y avait beaucoup de monde... Ce n'est pas comme ça à Dun Broch.
— C'est normal nous sommes passés par le marché, et il est rare qu'il ne soit pas grouillant de vie. Dis-moi, c'est comment chez toi ?
— Eh bien, c'est grand, calme lorsque mes frères sont absents.
Cette pensée me fit sourire.— Oh tu as des frères ? Plus âgés ?
— Non, plus jeunes mais déjà de vrais petits diablotins. Pour être honnête, je n'ai jamais vraiment eu d'amis, je suis heureuse de les avoir à mes côtés.
— Moi non plus je n'ai pas d'amis à proprement parler ! s'exclama-t-il trop soudainement. Oh, hum, je veux dire... Oublie ça. »
Ses dernières paroles me firent rire et finirent par me détendre complètement. Il n'avait rien de dangereux en omettant son dragon. Je sentais que je pouvais lui accorder ma confiance.
« Tu n'as pas à avoir honte, je lui murmurai après un petit temps.
— Merci.
— Pourquoi ?
— Merci de ne pas me juger... En réalité je suis entouré d'un petit groupe de personnes, c'est juste qu'ils ne semblent pas m'accepter. Et... Il y a cette fille, Astrid, elle est forte, belle et intelligente. Je ne me sens juste pas à la hauteur... Je ne sais même pas pourquoi je te dis tout ça, ça ne t'ennuie pas ?
— Non ne t'inquiètes pas. Je pense que je t'apprécie assez pour ne pas m'endormir. »
Il s'indigna d'une façon tellement théâtrale que j'eus envie de le présenter à ma mère, elle qui raffole de ces pièces surjouées.
Nous rîmes et continuâmes à échanger de petites anecdotes. Il semblait détester la solitude et utilisait fréquemment l'autodérision, comme s'il ne se prenait jamais au sérieux.
Son arrogance révélait une estime fébrile, mais ce qui était certain, c'était qu'Harold détenait une personnalité attachante. Les dragons le passionnaient, et il possédait une culture impressionnante dans divers domaines.
J'apercevais mon château depuis quelque temps maintenant, nous y étions presque. Un dernier regard sur les étoiles et j'avais déjà l'impression d'entendre l'indignation de ma mère quant à l'heure tardive.
Krokmou entama la descente et encore je resserrais mes bras autour d'Harold. Je me sentais bien.
Nous atterrîmes aussi discrètement que l'on pu, à quelques mètres de la muraille Ouest. Et un pied devant l'autre je sautais du dragon. Le Viking et moi partagions un regard et des sourires épanouis.
« J'ai été heureux d'avoir fait ta connaissance, me lança-t-il toujours sur le dos de Krokmou.
— Moi de même Harold.
— À défaut de pouvoir être amis, soyons alliés !
— Je trouve que c'est une excellente idée.
— J'espère qu'on se reverra, ensemble nous pourrons mettre un terme à cette guerre. »
Et me retournant je regagnais le château. Je l'entendis prendre son envole avec Krokmou mais me retins de les observer une dernière fois.
Mes pensées les accompagnèrent à mesure que la distance nous séparait. Arrivée près des écuries, je déliai la cape et la posai près d'un Angus endormi.C'est à ce moment que je remarquais que je portais encore le poignard du garçon au dragon. Et effleurant le manche avec mon pouce, je sourie.
Doucement je poussais les portes du château tandis que la lumière m'enveloppait en un rien de temps, signe que les torches brûlaient toujours. J'entendis ma mère hurler mon nom, des chaises grincer contre le sol, et je vis mes parents m'enlacer.
Je demandais pardon et répondais d'une manière assez vague à leurs interrogations. L'inquiétude peignait leurs visages, l'affolement faisait trembler leurs voix. Je m'en souviens parfaitement.
Ils avaient eu si peur ce soir-là.
« Oh ma pauvre enfant... Mais où étais-tu ?!
— J'étais près des cascades du Crôn, la notion du temps m'a échappé et j'en suis sincèrement désolée.
— Les Vikings ont encore frappé et j'ai... On a cru qu'ils t'avaient eu, qu'ils t'avaient... »
La fin de ses mots refusa de libérer le cœur de ma mère. Ses forces ne lui permirent que de me serrer aussi fort qu'elle le pu, la laissant incapable de retenir ses sanglots.
Mon père se tenait à la table, comme si le poids qui pesait sur lui refusait de disparaître malgré ma présence.
Cette vue fissura une chose en moi, et ce dont je n'étais pas encore consciente c'est que ça n'avait été que le commencement d'une terrible décadence.
L'émotion me submergea elle aussi et il m'a fallu fournir un effort titanesque pour ne pas céder aux larmes.
« Puis-je savoir ce qu'ils ont fait ? demandais-je incertaine.
— Beurk a envoyé une quinzaine de soldats sur nos terres dans le but d'entacher notre grandeur. Ces monstres se sont attaqués aux villageois d'en dehors de nos murailles à l'Est ainsi qu'au Sud, pillant et massacrant de pauvres innocents.
Cette fois ce fut le souverain qui prit la parole, il cracha ces mots tandis que la table grinçait à mesure qu'il y mettait de la force.
— Qu'est-il advenu des Vikings ?
— Qu'ils pourrissent en enfer ! il jura. Je me suis assuré que leur mort soit pour eux un long supplice. »
Je sentis un étau se former autour de mon coeur.
Était-il au courant ?
*
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CLANS
FanfictionIls étaient deux. Deux fragments d'une même âme, morcelée par la haine et la cruauté humaine. L'aurore de leur vie les sépara dès le premier cri, et tous deux naquirent ennemis. Engendré par la violence de leurs aînés, le lien qui les unissait étai...