Prologue

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Imaginez qu'on vous offre la possibilité de perdre la mémoire et de recommencer à zéro votre vie. Qu'en un seul claquement de doigts, tous vos mauvais choix, vos erreurs, tout ce que vous souhaitez oublier disparaissent. Si cela était possible, le feriez-vous ?

Personnellement, je n'ai pas eu à choisir, le destin l'a fait à ma place.

Bip... Bip... Bip... un bruit répétitif et ininterrompu. Lointain dans un premier temps, mais qui au fur et à mesure s'accentue. J'attends, pensant qu'il va cesser de lui-même, mais ce son persiste en un rythme régulier, au point d'en devenir désagréable. Suis-je en plein délire ? Pourquoi ne s'arrête-t-il pas à la fin ?! La colère monte en moi et, déterminée à ce que le silence revienne à tout prix, je me concentre de toutes mes forces, réussissant enfin à entrouvrir les paupières.

C'est brutal, violent, inarrêtable, comme une tornade saccageant tout sur son passage. La douleur est insupportable. Elle envahit chaque partie de mon corps, ne me laissant aucune chance de fuir. Je suffoque, peine à respirer et referme instantanément les yeux, priant pour que ce ne soit qu'un cauchemar. Suis-je morte ? Les enfers existent finalement bel et bien. La brûlure dans ma gorge m'empêche d'avaler ma salive correctement, me faisant grimacer de souffrance.
Je veux me toucher pour apaiser ce feu, mais il m'est impossible de bouger. Ce sentiment d'impuissance me terrifie et je sens les larmes couler le long de mes joues.

Soudain, quelque chose de chaud se pose sur ma main et me calme. C'est comme une lueur d'espoir qui me permet de m'accrocher enfin à quelque chose de réel. Je veux tourner la tête, attraper cette chaleur et lui intimer de ne jamais me lâcher ! Mais tout est trouble, je n'arrive pas à m'adapter à la luminosité qui me grille les rétines.

- Oh, ma chérie... je suis tellement contente. Enfin, te voilà parmi nous, me chuchote une douce voix.

Souhaitant découvrir à qui appartient ce timbre, je cligne plusieurs fois des yeux. Les secondes défilent avant qu'une légère netteté apparaisse et que je discerne une main bronzée entourant la mienne, blanche. Je ne sais pas comment réagir. Et en toute sincérité, je n'en ai pas la force. Prenant le temps de s'adapter, mon regard remonte lentement jusqu'au visage d'une femme. Elle est légèrement inclinée vers moi, ses longues boucles brunes tombent en cascade et caressent mon bras. Des larmes inondent ses joues, la tristesse ainsi que la fatigue ont creusé ses traits. Ses lèvres pourtant, dessinent un mince sourire qui semble sincère.

Est-ce du soulagement ? Elle serre ma main doucement, attendant une réaction de ma part qui ne vient pas.
Ma vision devenue normale, je tente une nouvelle fois de bouger la tête afin d'inspecter l'endroit où je me trouve. Je suis allongée dans un lit, enroulée d'un drap blanc qui me maintient au chaud. La pièce n'est pas très grande, seuls le lit, une chaise ainsi qu'une petite table de chevet font office d'ameublement.

Je sursaute lorsque la porte s'ouvre et que trois hommes entrent. Les observant un à un, je me sens tout d'un coup mal à l'aise. Les deux premiers s'arrêtent au pied de mon lit. Ils portent une tenue similaire : une blouse blanche ainsi qu'une chose, dont je ne connais pas le nom, autour du cou ; seule leur différence d'âge les distingue. En revanche, le troisième, habillé normalement, continue son chemin jusqu'à se positionner derrière la femme et pose sa main sur son épaule. Avec ses cheveux blonds, ses yeux vert foncé et sa pâleur, il est son total opposé. Elle, incarne la chaleur et lui, la glace. Par contre, ils partagent la même expression de tristesse sur leur visage. Ce qui me fait froncer les sourcils.

Alors que j'observe le couple, je réalise que le plus jeune des blouses blanches s'est approché de moi. Troublée par cette proximité, je cherche à m'éloigner, mais je n'avais pas remarqué que je suis reliée à des fils. Qui eux-mêmes sont connectés à des machines. Je sens de nouveau la main de la femme sur la mienne, me rassurant.
Vigilante, je garde un œil sur « blouse blanche » qui trafique je ne sais quoi avant de s'en aller sans un mot, laissant le plus vieux consulter un calepin et prendre la parole.

- Bien, on va commencer tranquillement. Je suis le docteur Miller et vous êtes à l'hôpital de Portland. La gêne que vous ressentez au niveau de vos cordes vocales est normale, elle est due à l'intubation et disparaîtra dans quelques jours. Vous pouvez parler, mais cela sera douloureux, économisez-vous un maximum. Dans un premier temps, pouvez-vous me dire si vous avez compris en faisant un signe de la tête ? Il a une voix posée, pleine d'empathie, qui me met en confiance.

J'incline la tête doucement de bas en haut.

- Bien, c'est très bien même. Avez-vous mal ? De nouveau, j'acquiesce.

- D'accord, un infirmier viendra pour remédier à vos douleurs. Maintenant, savez-vous quel jour nous sommes ? Ou en quelle année ?

Le néant, puis la panique, voilà ce que déclenche en moi une simple question. Je me retrouve face à un mur. Je patiente, réfléchissant encore et encore, mais rien ne me vient. Alors, abandonnant, je secoue la tête. Les réactions ne se font pas attendre : l'homme en blouse blanche baisse son regard et note quelque chose sur son calepin tandis que j'entends la femme retenir sa respiration.

- D'accord, nous sommes le 14 septembre 2012... Essayons une autre question. Vous rappelez-vous ce qu'il s'est passé ?

Encore une fois, je réponds par la négative. Impossible pour moi de mettre des mots, des images ou quelque chose sur ce qu'il me demande. Un sentiment de honte et une colère montent en moi, car j'aimerais pouvoir lui répondre, mais je n'y arrive pas.

- Ce n'est pas grave, ça ne fait rien. Pouvez-vous me dire votre nom et prénom ?

Le coup de grâce est donné. Il vient de m'achever. Le temps est suspendu, l'ambiance change et je sens une tension dans la pièce qui m'angoisse. Malheureusement, mon silence et mon immobilité sont révélateurs de mon ignorance. Je sursaute et sors de ma stupeur quand la femme pousse un petit cri avant de s'effondrer dans les bras de l'homme, tous deux semblent abattus. Mon cœur tambourine à toute vitesse.

Le docteur Miller fronce légèrement les sourcils et inscrit de nouveau quelque chose. L'atmosphère ne s'apaise pas, elle devient même étouffante. Je ne comprends rien à ce qu'il se passe et je n'ai qu'une envie : hurler. Du regard, j'implore le médecin de m'aider, de me dire enfin la vérité.

- Vous vous appelez Emilia Smith, vous êtes arrivée chez nous il y a quelques semaines pour un traumatisme crânien et de multiples fractures. Nous avons dû vous mettre dans un coma artificiel afin de permettre à votre corps de récupérer dans les meilleures conditions possibles. Et... les personnes qui sont ici sont vos parents.

Peur, colère, tristesse. Autant d'émotions arrivant par vagues. Ma tête tourne, je tremble et je vois flou, ne sachant plus quoi penser. Rien n'a de sens, on ne peut pas oublier ses propres parents !

Et pourtant, j'ai beau les observer, cherchant quelque chose en moi, une réaction, un sentiment quelconque, un souvenir, mais rien.

FORGOTTEN (édité chez First Flight Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant