Miroirs

"Dé/connexion"

Connexion.

L'initialisation est terminée. Je plonge à pieds joints dans le serveur qui m'emmène si loin. Lorsque j'ouvre les yeux, je retrouve la vitre opaque habituelle qui me sépare de cet autre monde.

Je finis par le connaitre. Il m'étonne, cet univers-ci. Il est le seul dans lequel je n'arrive jamais à distinguer personne d'autre que moi. J'aurai peut-être plus de chance cette fois-ci.

Je me repère presque aussitôt. Je suis là, un peu devant moi.

Je semble pressée. Par quoi ? Aucune idée mais ça m'intrigue. J'emboite le pas à mon autre moi, celle d'un autre univers.

Elle (oui, admettons-le, ce sera plus pratique pour nous différencier) déambule dans les rues jusqu'à trouver, apparemment, ce qu'elle cherchait. Un homme.

Oh oh... Je n'ai pas l'air très intelligent, ici. Je me croyais plus futée.

- Tu l'as ?, demande l'homme.

- Ou...oui, bredouille mon autre moi.

Elle sort un petit sachet entouré de plastique de sa poche.

- Parfait, susurre l'homme en s'approchant de mon autre moi.

Il se met à lui caresser les cheveux tout en l'embrassant dans le coup. Elle est figée et n'ose rien faire. Je ressens son dégoût et sa peur qui me font frissonner.

- On se retrouve dans deux heures, ici-même. T'auras ta paye à ce moment-là si t'oublies pas l'autre truc à apporter. Clair ?

- D'a...d'accord.

L'homme s'en va et mon autre moi prend sa première respiration depuis 3 minutes. Elle s'appuie contre un mur et se met à sangloter.

Déconnexion.

Je me redresse dans le fauteuil branché au serveur central. Je déteste cette version de moi. Une fille fragile, naïve, qui se fait facilement avoir... Pourtant, elle ne cesse de m'intriguer.

Je me lève et je fais quelques pas vers le buffet. Pendant que je m'empiffre (les voyages creusent l'appétit, mine de rien), je vois Elio qui s'approche.

- Eh, Ada ! Alors, ce voyage ?

- Pfff, nul, je réponds en mordant dans une brioche. Je suis allée rendre visite à la moi que j'aime le moins, celle qui est faible, tu sais.

- Oh, moi je la trouverai forcément attachante, tu sais, renchérit Elio avec un clin d'œil.

Je fais mine de l'ignorer en haussant les épaules et en terminant lentement ma brioche.

- Bon, on choisit le même univers, ce coup-ci ?, continue Elio. Comme au bon vieux temps. Comme quand on a commencé ces voyages, il y a deux ans, à l'université de Strasbourg ... Ensemble.

Tout en hochant la tête, je me dirige vers un duo de fauteuils.

- Je te laisse choisir l'endroit !, lui lancé-je.

Elio fait défiler plusieurs mots aux sonorités étranges. Ceux-ci traduisent en expressions les divers univers dans lesquels nous parvenons à nous rendre. Mais il en reste tant d'inconnus encore...

Il vient prendre place à mes côtés, allongé sur le dos et les bras le long du corps. Au moment du décollage, je sens ses doigts qui cherchent les miens et, instinctivement, je recroqueville ma main contre ma cuisse.