Tout était calme encore ; tout était paix alors.
Héméra entrait avec paresse dans la ville, traînant dans ses pas son long voile de lumière et son ombre d'éclats. Sa silhouette entreprit de peindre l'étendue bleutée d'une nitescence nouvelle tandis qu'elle s'avançait pour remplacer sa sœur. Exténuée, Nix avait déjà revêtu son lourd manteau de nuit et son écharpe de froid. Ses pieds trainants l'éloignèrent de son siège de garde. Elles se relevaient de la surveillance du monde avec l'aisance de l'habitude. C'était un ballet délicat et élégant, bien connu de la sororité. Toutefois, la représentation de cet instant là était particulière. Un peu trop de nonchalance, un peu trop de fatigue, et le synchronisme fut rompu. L'une arrivait, l'autre partait ; l'une n'était pas encore là, l'autre n'était déjà plus là. Le monde se trouva un instant privé de jour, privé de nuit, il resta seul un bref moment, horse de la temporalité. Le monde était seul.
Tout était paix alors ; tout était calme encore.
Dans cet entre-deux surnaturel, la rue se réfugia sous une couverture azurée éclairée des ces torches immenses persuadées de pouvoir tenir tête à Nix. La lumière de ces réverbères irradiait les trottoirs comme le foyer d'une cheminé irradiait de sa chaleur les cœurs d'une famille réunie. Le flamboiement de leur lueur formait une constellation de feu allumée par les hommes pour guider les dieux. Deux d'entre elles parvenaient à se distinguer, jumelles, elles veillaient sur l'escalier qui s'engouffrait dans la gueule obscure du royaume souterrain où circulaient les métros. Surplombant la fenêtre des ténèbres sans fin, une plaque métallique, rouillée mais digne affichait : "Métropolitain", empreinte oubliée d'un passé glorieux. Ce dernier s'arrachait aux terres indistinctes de l'oubli et s'évertuait à croître vers la lumière depuis bientôt un siècle. Sous son apparence végétal, privé de sa verdure par la saison hiémale, le passé déployait ses branches en un éventail appliqué. Ses ramifications faisaient comme... Mais déjà Héméra s'assit gracieusement dans les cieux, laissant son voile couvrir la ville qui s'éveillait avec la douceur caractéristique des journées d'été. Le monde se fit embrasser par le jour, sortant définitivement de cette atemporalité imprévue.
Tout était calme encore ; tout était paix alors.
Déjà les premiers gazouillis sortaient de l'estomac des ténèbres. Très vite il vomirait son flot d'esclaves aveugles, sourds et insensibilisés à la caresse aimante du tissu solaire.
Tout sera bruit alors ; tout sera mort encore.
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Le Sentier Lettré
Random"Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse." Rimbaud, "Ma Bohème" Juste un petit recueil dans lequel ranger tous ces bouts d'histoires que des voix sans visages révèlent à mon oreille lorsque je s...