Communion

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Un coup d'œil au ciel suffit à lui indiquer qu'elle devrait accélérer le pas. Ce n'était pas encore tout à fait le crépuscule, mais le soleil offrait déjà ses derniers baisers au ciel. Ce dernier rougissait face à cette démonstration affective, et son émotion le paraît de mille teintes de rose différentes.

La jeune femme, sourit, puis se concentra à nouveau sur l'horizon, repérant sa destination à la fin du bosquet. Allongeant sa foulée, elle traversait le bois avec une agilité féline et une élégance divine. Ses pieds se posaient avec légèreté sur le sol et savaient éviter les pièges que dissimulait la nature sauvage. Le vent accompagnait sa course et venait murmurer à son oreille l'écho des chants du village.

Sa place n'était pas ici.

Dans sa robe d'apparat, sous sa coiffe de soie, dans ses souliers de velours, elle devrait faire partie des voix que le vent charriait à ses oreilles. Installée sur son siège d'ivoire, elle devrait admirer le peuple célébrer avec entrain l'avènement de cette nuit sacrée.

« Tout le monde a sa place dans l'univers, ma tendre fleur, tu dois l'accepter. »

Alors que le murmure de sa mère se rappelait à elle, une pierre roula sous son pied et précipita sa chute. La rencontre avec le sol fut violente, et immédiatement suivie d'un juron à faire rougir les plus vieux marins. Elle se releva péniblement, et sans prendre le temps de réajuster sa tenue, elle reprit sa course effrénée. Un bref regard au ciel lui apprit que le soleil avait prit congé. Le crépuscule s'était imposé. De toute sa gloire, il baignait le monde de sa délicate lumière. Il accordait un dernier répit avant l'arrivée de l'obscurité.

« Attends-moi ! » supplia la jeune femme à bout de souffle.

Enfin, elle sortit du bois et arriva aux pieds d'une immense construction. La pierre s'élevait si haut qu'elle semblait transpercer les cieux. Entrant dans la tour, la jeune femme se débarrassa de ses chaussures et de sa coiffe avec empressement. Avec plus de difficultés, elle parvint à se défaire de ses jupes et glissa hors de son corset. Le fin tissu azur d'une nuisette de satin demeura le seul obstacle à sa nudité totale. Le vêtement flottait avec douceur sur les courbes de ses hanches, et une dentelle au motif complexe soulignait sa poitrine. Elle entreprit ensuite de retirer toutes les épingles de sa chevelure ardente et la laissa retomber sur ses reins. Seulement après cette préparation entreprit-elle l'ascension de la tour. Le marbre des marches sous ses pieds la fit frissonner mais rien ne saurait l'arrêter.

Elle y était presque.

Les conséquences, elle y avait déjà réfléchi, et elle avait décidé que c'était un prix qu'elle se savait prête à payer. Elle ne pouvait plus mentir. Elle ne pouvait plus prétendre. Elle ne voulait plus être ce qu'elle n'était pas. On l'appellerait folle, égoïste, et même hérétique, mais elle ne s'en souciait guère. Alors qu'elle enchaînait les marches sans s'accorder de pause, alors que son corps criait son épuisement, elle se savait en paix avec son choix. Quand enfin elle atteignit le sommet du bâtiment, aucune hésitation n'arrêta sa main. Elle ouvrit la porte et sortit à l'air libre. Les rayons divins de la pleine lune baignèrent son visage et embrassèrent sa peau. Quelques pas et elle se retrouva au bord de la tour, oscillant entre la pierre et le vide. Pour la première fois des vingt-sept années de son existence, elle put emplir ses poumons et jouir d'un souffle nouveau. Ses yeux se gorgèrent du spectacle qui s'offrait à elle : le monde lui était révélé.

Elle pouvait voir le calme de la forêt et la passion de l'océan ; la force de la terre et la délicatesse de l'air ; la passivité de la nature et l'agressivité des hommes.

Oui, de là, elle voyait tout, elle entendait tout. De ce sommet, elle pouvait sentir le monde vibrer dans son cœur. Cette sensation de plénitude était enivrante et maintenant qu'elle l'avait perçu, elle ne pouvait y renoncer. Le vent lui tint la main, et ensemble ils firent le dernier pas qui la conduirait de l'autre côté, là où il n'y avait de fin à rien.

Le Sentier LettréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant