Ils roulaient depuis près de trois heures dans une chaleur pesante lorsqu'une étendue sombre apparut enfin à l'horizon. Ils s'arrêtèrent un instant en bord de mer et s'échappèrent de l'atmosphère pesante du véhicule. Céleste était éberluée par cet océan si semblable et si différent à celui de la Terre. La mer et le ciel se rejoignaient à l'horizon et ne formaient plus qu'un, obscur et lumineux, éclairé par les astres luminescents. Ni une, ni deux, la brune défit sa cape qu'elle laissa tomber au sol, défit ses lacets et retira ses chaussures, avant de se jeter à l'eau sans même prendre la peine de se déshabiller.
L'eau fraîche glissait doucement le long de son corps, aussi légère que de l'air. Les profondeurs étaient sombres et menaçantes. Ou tout du moins, elles l'étaient avant que Céleste ne rallume les étoiles. Lorsqu'elle effleura le fond marin
du bout des doigts, la machine figée sembla se remettre en marche, le phénix renaissait de ses cendres, la vie semblait soudainement réapparaître au milieu de cette imposante et obscure étendue d'eau. Ce qui ressemblait fortement à des pierres et à des algues marines s'illumina soudain des couleurs du couchant, jaune, rouge et or. La jeune fille n'avait pas la sensation de nager en pleine mer, mais celle de voler en plein ciel, entourée par les étoiles, étoiles qui n'étaient que de nombreux autres soleils, d'autres centres d'autres mondes, d'autres sources de lumières pour d'autres planètes, différentes mais peut-être vivantes, elles aussi. Une infinité de centres du monde pour une infinité d'univers. Et au milieu de tous ces univers, si infime soit-elle, une place pour chacun existait. Elle ne demandait qu'à être trouvée.Céleste émergea à la surface et respira une profonde goulée d'air, les poumons en feu, mais pas mécontente pour un sou de cette petite virée aquatique.
— Vous devriez venir, elle est super bonne ! cria-t-elle à ses amis qui l'observaient depuis la berge.
— Non merci ! hurla à son tour Lætitia.
Mais les autres ne devaient pas être du même avis car Amælie plongea aussitôt dans l'eau fraîche et un bruit d'éclaboussures retentissant leur indiqua que Roméo avait suivi le même chemin. Céleste rit devant l'air boudeur de Lætitia restée seule sur le bord, entraînant les deux autres dans son fou-rire, jusqu'à ce que même le coin des lèvres de la jeune fille tressaute et qu'elle ne puisse réprimer un éclat de rire.
***
Aux alentours de quatorze heures, ils atteignirent enfin le port d'Ivène, une petite station balnéaire peu prisée et relativement paisible. Ils se garèrent enfin derrière des conteneurs à l'extrémité d'un ponton de bois auquel était amarré un paquebot blanc comme nacre qui portait le nom d'Orion III, écrit en majuscule d'imprimerie bleu marine sur la coque. Une foule de personnes s'y embarquait et de nombreux marins s'activaient sur le pont.
Les quatre adolescents montèrent à bord par la passerelle aux côtés de Mme. Stravosky pendant que son mari conduisait la voiture dans la cale du navire.
Le voyage jusqu'à l'Archipel des Funambules dura trois heures, mais ne fut en aucun cas inconfortable. Les quatre amis profitaient du soleil sur le pont tout en étant fasciné par les fonds marins qu'ils apercevaient par-dessus bord. Amælie était amusée par cette curiosité tournée vers sa culture natale, elle, enfant des îles, qui allait enfin rentrer chez elle. Elle rentrait chaque week-end sur l'île Rouge en début d'année, mais lorsque les missions avaient débutés, elle avait dû se résigner à ne retrouver ses parents que lors des vacances.
L'aube se levait à peine lorsque le paquebot accosta sur l'île tropicale, et les adolescents purent enfin marcher à leur guise sur la terre ferme. L'île Rouge portait bien son nom, car le sol n'était constitué que d'un sable de cette couleur brûlante. Des montagnes rougeoyantes s'étendaient à perte de vue et offraient un paysage magnifique, malgré la chaleur étouffante. Amælie semblait aux anges, elle ne cessait de leur faire presser le pas, sautillant de joie d'être de retour parmi les siens, tandis que ses parents s'amusaient à l'arrière de la petite procession. L'île était peuplée d'une civilisation assez recluse, qui perpétuait encore les traditions de ce peuple depuis des générations. La jeune fille les fit traverser une forêt aride et dense qui menait à un petit village de cahutes de terre, petit village qui s'avérait en fait être la capitale de l'île Rouge. De loin, il avait semblé à Céleste que les habitations de terre étaient minuscules, mais elle avait eu tort : les cahutes étaient de taille modeste, plutôt classique, comportant la plupart du temps un étage. Une musique joviale provenait du centre-ville, vers lequel il se dirigèrent. Des femmes habillées de robes aux mille couleurs leur passèrent des colliers de fleurs autour du cou en leur souhaitant la bienvenue – ce qui fit étrangement penser à la jeune Pupille à l'île de Tahiti. Sur la Grand Place du village avait lieu un carnaval de couleurs.
— C'est la fête Ikao, expliqua Amælie, la fête du soleil.
Un groupe de musiciens jouaient d'instruments inconnus de Céleste, tandis que hommes, femmes et enfants dansaient et chantaient. L'ambiance était à la fête, et le quatuor aurait presque pu en oublier leur ami disparu. Bien que cela fût tout d'abord difficile, ils se joignirent à la fête. Après tout, le principal objectif de ces vacances était de les écarter un court instant de la triste réalité qui les entourait.
***
Céleste s'effondra sur un banc, éreintée, le front humide. Elle pouvait sentir un embryon de rire remuer au fond de sa poitrine, sensation qui lui semblait étrange et déplacée, mais qui était si plaisante !
Se frayant un passage dans la foule, Roméo, suivi de près par Astor, la rejoignit et lui tendit un gobelet en carton. La jeune fille jeta un coup d'œil suspicieux à son contenu – une boisson hésitant entre le turquoise et le vert – alors que son ami, s'amusant de sa méfiance, avalait le sien d'une traite. Finalement, la brune porta le verre à ses lèvres et en but une petite goulée hésitante. Le breuvage coula dans sa gorge une saveur à la fois sucrée et acide, qui lui brûla instantanément la poitrine.
Toussotant, elle se plia en deux et posa le gobelet à ses côtés alors que Roméo éclatait de rire.
— Sérieux, qu'est-ce que tu m'as fait boire ? fit Céleste d'une voix éraillée, les larmes aux yeux. Du Whisky ?
— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, s'amusa-t-il alors que son amie grimaçait devant sa bourde.
Évidemment. Roméo ne pouvait pas connaître le Whisky.
— Mais si tu veux savoir, poursuivit-il, il s'agit apparemment d'un fruit de la région.
Céleste secoua la tête en reportant son attention sur Lætitia, qui dansait comme une folle avec Amælie, les yeux pétillants. Au-dessus de leurs têtes, Minéa, Ibis et une Sinelma fort angoissée étaient lancées dans une ronde endiablée.
— Ça ne te paraît pas étrange, commença-t-elle à l'intention de Roméo sans quitter le tableau des yeux, de s'amuser ici après tout ce qu'on vient d'apprendre ?
— Un peu, avoua-t-il, mais Amælie et ses parents ont raison. On avait besoin de s'écarter un peu de notre quotidien...
Céleste n'était pas certaine d'être du même avis, mais elle acquiesça tout de même. Dans le regard de son ami, un éclair de tristesse et de nostalgie fusa, tandis qu'il paraissait sombrer dans des pensées et souvenirs abyssaux dont lui seul pouvait comprendre la signification...
***
Tard ce soir-là, Amælie et ses parents les firent donc traverser la place bondée, se servant au passage de quelques boissons et biscuits déposés sur le buffet. Ils marchèrent le long de ruelles désertes jusqu'aux abords de la ville, où une maison de terre à deux étages se dressait, au centre d'un vaste jardin plus semblable à une forêt avec ses plantes luxuriantes et sauvages.
M. Stravosky enfonça la clef dans la serrure, et ils pénétrèrent dans la maison. Roméo monta jusqu'à sa chambre au premier étage alors que les filles rejoignaient la leur au deuxième. Alors qu'elle déposait ses affaires sur le rebord de la fenêtre, le regard de Céleste dériva au loin, vers l'océan obscur, sur lequel perçait la silhouette plus sombre encore d'une île voisine.
Et c'est alors qu'une idée germa dans son esprit...
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Le syndrome des cœurs de pierre I - Pupille
Fantasy/!\ EN COURS DE RÉÉCRITURE Tome premier « Dans nos cœurs en perdition, L'amour s'est volatilisé. Mais en ces relents d'émotions, Même la haine n'a subsisté. Seule l'impassibilité souffle en cette terre, Où tous nos cœurs sont faits de pierre. » P...