Céleste avait les yeux clos, allongée sur le sable fin et rougeâtre, la faible et chaude brise lui caressant le visage, bercée par le doux va-et-vient des vagues qui venaient se briser sur la plage, se répandant en un nuage d'écume. Elle était plus paisible qu'elle ne l'avait jamais été. Une fois encore, la jeune Pupille vint trouver refuge dans les bras de son rêve, s'évadant dans son imaginaire, dans ce monde parallèle, utopique, loin de tout et proche de rien, fuyant les inquiétudes du voyage et la perspective de ce qui les attendait ensuite, lorsqu'ils auraient retrouvé Hugot. Hugot... Son visage fin, ses cheveux bruns, ses yeux rivés vers le large, vers le lointain, ses yeux capables de tout voir, chaque chagrin, chaques maux, capable de tout comprendre. Céleste pouvait encore entendre son rire, comme le tintement du verre, doux, mélancolique et joyeux à la fois. Cette lumière qui brillait au fond de ses iris, cette lumière intelligente, espiègle, et un rien nostalgique. Cette dernière caractéristique, il la partageait avec son grand-père, Arthur. L'adolescente sentit un sentiment poignant lui empoigner les entrailles, et la malmener, la faire vaciller, trembler, tomber. Elle tenta de faire taire ses émotions, étouffant ses pensées sous d'autres souvenirs, plus joyeux et au cadre ô combien différent.
— Eh ! Céleste ! Tu viens ?
La jeune Pupille rouvrit les paupières, les yeux rivés vers le ciel étoilé qui se découpait derrière les longues et larges feuilles des palmiers. Les corps célestes étaient si luminescents qu'ils éclairaient la mer de couleurs arcs-en-ciel. Lætitia s'écroula comme une masse aux côtés de son amie, trempée. Elle portait un maillot de bain deux pièces rouge et des lunettes de soleil remontées dans ses cheveux or.
— Je sais que tu es anxieuse, Céleste, dit-elle, je le suis également. Mais c'est justement pour ça que tu dois te détendre, t'amuser un peu, oublier pendant un court instant tes inquiétudes vis-à-vis d'Hugot. Allez, viens !
Céleste hésita quelques instants et finit par se laisser convaincre. Après tout, une petite baignade ne pourrait pas lui faire de mal.
***
L'île Verte, tout comme sa jumelle Rouge, portait bien son nom. En effet, elle était couverte d'une végétation dense et verdoyante, le sol lui-même étant fait de mousse. Le paysage aurait pu lui paraître magnifique, derrière la baie vitrée de la véranda, pourtant, tout ce que Céleste voyait était une forêt morne et triste. Les arbres qui croulaient sous les lianes semblaient pleurer eux aussi, partageant leurs larmes avec la femme qui se trouvait en face du quatuor.
Victoire ferma les yeux et essuya ses larmes d'un geste rageur. Qu'il lui avait été difficile de découvrir sur le pas de sa porte une bande de jeunes adolescents ayant parcouru des dizaines de kilomètres uniquement dans l'espoir de retrouver son fils, son fils à elle, son dernier enfant après la perte terrible de sa petite Charlotte. Lorsqu'elle avait appris la disparition d'Hugot, Victoire avait mis en avant tous les moyens du bord afin de le retrouver. Elle avait dépensé une fortune colossale en imprimant des affiches et en concluant des marchés avec des hommes à l'intention douteuse, marchés qui, bien évidemment, n'avaient été qu'une suite infinie d'escroqueries. Mais elle était prête à tout pour qu'on lui rende son enfant. L'amour crée de nombreux malheurs et sacrifices, et pourtant... Il valait peut-être mieux souffrir que ne jamais connaître ce puissant sentiment, ce feu brûlant qui nous fait vivre et qui nous fera mourir.
— Que... Que voulez-vous savoir, exactement ?
Céleste échangea un regard hésitant avec ses amis et se jeta à l'eau.
— Tout.
Victoire soupira et reposa sa tasse de thé sur la table basse. Elle se laissa aller contre le dossier de son ottomane et prit une profonde inspiration. Ils n'étaient que des enfants, des marionnettes dont les fils reposaient entre les mains de ceux qui prétendaient ramener la paix, alors qu'ils ne faisaient que semer le malheur et le chagrin, détruisant tout obstacle sur leur chemin, chemin certes laborieux mais qui les mènerait coûte que coûte vers leur objectif premier, vers un contrôle et un pouvoir total de l'univers. Mais devait-elle prendre le risque de faire de telles révélations à des adolescents ? Et que pouvait-elle leur dévoiler ? Pas toute l'histoire, en tout cas. Elle allait devoir omettre certains détails.
— Comme vous le savez déjà, nous avons perdu notre aînée il y a quelques années. Charlotte tentait alors de sauver la peau de son petit frère, kidnappé par un homme sans scrupules. Vous vous demandez sûrement pourquoi commettre un tel act, si ignoble soit-il. Eh bien voilà : notre famille a rencontrée de nombreux problèmes avec les forces de l'ordre, problèmes qui nous ont coûtés de déménager ici, sur cette île reculée, où nous avons rencontré cette chère Amælie. Nous avons changé de nom de famille, devenant la famille Ficher aux yeux de tous. Mais il en faut plus pour brouiller les pistes et obstruer la vue des Magiciens. Oui, des Magiciens. C'est l'un d'eux qui enleva Hugot la première fois, et c'est sans nul doute l'un d'eux qui le kidnappa une seconde fois...
— Excusez-moi, fit Roméo, mais pourquoi les Magiciens feraient une chose pareille ? Après tout, ils forment le gouvernement de la Nuit et protège notre monde, ils représentent l'ordre des choses !
— L'ordre des choses, hmm ? répliqua Victoire en haussant un sourcil. Est-ce que cela fait partie de l'ordre des choses que de voler les souvenirs de pauvres terriens qui n'aspirent à rien d'autre que de vivre paisiblement, et de plus les voler par le biais de jeunes enfants ?
Le garçon en resta sans voix. Céleste se souvint alors que Victoire n'était pas la seule à voir les choses sous cet angle, comme l'avait judicieusement fait remarquer Hugot quelques mois auparavant.
— Qu'avez-vous découvert qui nécessite une condamnation à mort de la part des Magiciens afin que cela ne soit pas divulgué ? demanda Céleste.
— Je ne pense pas que je puisse te le dire... Cela concerne... Hmm... L'Oiseau.
— L'Oiseau ? s'écria la jeune fille. De quoi s'agit-il ?
— J'ai bien peur de ne pas pouvoir te le dire. Je vous en ai déjà beaucoup trop dit à ce sujet. C'est une histoire qui ne vous concerne pas et vous risqueriez gros en en apprenant davantage.
— Je vous en prie, supplia la Pupille.
— Je suis navrée mais c'est impossible...
— Et si je vous disais que c'est une question de vie ou de mort ?
Le silence qui tomba sur la maison était pesant, l'atmosphère tendue.
— S'il vous plaît... Cela en va de la survie de ma mère et sûrement même de la mienne...
Victoire hésita longuement. Elle jeta un regard alentour en se mordant la lèvre puis se tourna finalement vers la jeune fille en soupirant.
— Très bien...
— Merci. Merci infiniment.
La femme pressa ses paupières de ses doigts fins quelques secondes, puis les rouvrit et prit une profonde inspiration.
— Donc, ce que l'on appelle l'Oiseau est en vérité un sceptre surmonté d'un colibri en or, expliqua la jeune femme d'une voix si basse que les jeunes gens durent tendre l'oreille afin de capter le moindre mot. Ce sceptre procurerait à celui qui le trouve un tel pouvoir qu'il serait capable de s'approprier la Terre et la Nuit ainsi que tous les autres mondes existants...
— S'approprier ?
— Il est dit que le possesseur de l'Oiseau deviendrait le Maître des Mondes, qu'il gouvernerait chaque parcelle de l'univers et que tous seraient sous l'emprise de son pouvoir, les peuples entiers soumis à l'autorité de ce monstre inhumain et surpuissant.
— Et les Magiciens le cherchent...
— Exact.
— Mais où se trouve-t-il ? Pourquoi personne ne l'a encore découvert ?
— Personne ne sait exactement où il se trouve. Personne... excepté nous et les Magiciens.
— Et c'est pour cela que vous êtes menacés ?
— En effet.
— Mais où est donc caché l'Oiseau si vous le savez ?
— Je ne sais pas si...
— Je peux le trouver. Je dois le trouver. Pas pour l'utiliser, mais...
Céleste se leva et se dirigea vers Victoire. Elle hésita quelques secondes et se pencha par-dessus le dossier de l'ottomane.
— Pour le détruire, chuchota-t-elle à son oreille.
Victoire ferma les yeux, les rouvrit et se tourna vers la jeune fille.
— Il se trouve dans les Abysses du monde de l'Aube, lâcha-t-elle dans un souffle. Aurora.
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Le syndrome des cœurs de pierre I - Pupille
Fantasy/!\ EN COURS DE RÉÉCRITURE Tome premier « Dans nos cœurs en perdition, L'amour s'est volatilisé. Mais en ces relents d'émotions, Même la haine n'a subsisté. Seule l'impassibilité souffle en cette terre, Où tous nos cœurs sont faits de pierre. » P...