10/07/2018

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Mon cher ami,

Le temps passe et malheureusement nous n'y pouvons rien. J'ai récemment resongé à la dernière lettre que je t'ai adressée. J'y racontais des choses bien tristes et toutes mes pensées couchées sur le papier étaient noires, je l'avais écrite sur le coup de l'émotion et ne pensais pas réellement ce que je t'écrivais. Après réflexion, j'ai dû beaucoup t'inquiéter et cette seule pensée me désole : je tiens à m'excuser de l'inquiétude que j'ai probablement due te causer. Mais, pour te rassurer de mon état, sache qu'un évènement soudain est survenue dans mon environnement monotone : tu te souviens de Joelle ? Je t'en parlais brièvement dans ma précédente lettre, et bien elle se trouve être mère d'un adolescent venant tout juste de redoubler son année scolaire ! Tu aurais dû la voire quand elle me racontait ça : rouge de colère, sourcils froncés et yeux lançant des éclairs ! J'aurais eu peur pour ma vie sans le sourire malicieux qu'elle affichait en fin d'explication. Tu te demandes surement qu'elle signification il pouvait bien avoir ? Je n'eus pas longtemps à attendre pour le savoir : la meilleure punition que Joelle a trouvé est de forcer le petit à venir travailler pendant l'été, l'été tout entier, à la maison de retraite. Le pauvre ! Ce n'est déjà pas agréable d'y passer toutes ses journées quand on est vieux alors jeune... Je crois que Joelle est vraiment fière de son idée. Concernant le gamin je soupçonne qu'il s'occupe des plateaux repas livrer dans les chambres. Il m'a apporté le mien plusieurs fois donc je n'ai pas vraiment de gros risques de me tromper. Je ne sais si son existence t'importe peu mais il a le mérite d'apporter un peu de nouveauté et de jeunesse en ce lieu plutôt morose. Même si, je l'avoue, en le regardant on a du mal à discerné une once de plaisir dans ce qu'il fait. Pas très étonnant cela dit. En y réfléchissant je ne sais pas comment j'aurais moi-même réagis si sa situation actuelle avait dû mettre imposer au même âge que lui. Les temps étaient différents et les mœurs ont sans doute beaucoup changées. Mais je reste convaincu qu'à toutes époques cette condition m'aurait ennuyé. Mais cette situation n'est jamais arrivé, je reste donc dans le flou le plus totale. Je peux au moins dire que cela m'occupe l'esprit. Pour en revenir au petit on peut au moins dire qu'il est agréable. Je pense qu'il essaye quand même de faire de son mieux : il engage souvent la conversation, il essaye de sourire le plus souvent possible aux dames qu'il croise et je l'ai souvent vue pousser un fauteuil roulant. Sinon hier je t'écrivais à propos de l'horreur que je ressentais au fait de ne pouvoir aller dans le jardin à ma guise et bien il se trouve que Joelle m'a apportée une solution. Elle trouve que j'ai de plus en plus de mal à me déplacer et propose de me donner un fauteuil. Je sais qu'à une époque j'aurais protesté, arguant que je n'avais en aucun cas besoin de cette chose dégradante, que je me portais extrêmement bien ajoutant même un petit pas de danse ridicule pour appuyer mes propos. Mais aujourd'hui, comme dit dans ma précédente lettre, je suis fatigué de mentir, alors je n'ai fait qu'hoché la tête en souriant. En pensant qu'ainsi je pourrais sortir observer les asphodèles et même passer toute la journée dehors si le temps se montrait clément. Je me prends même à rêver d'une nuit à la belle étoile. Tu m'imagine moi dormant dehors entourer d'asphodèles en fleurs et d'étoiles brillantes dans un ciel bleu, presque encre, redécouvrant les plaisirs simples de la vie. C'est ce qu'il y a de profondément merveilleux et cruel dans un rêve : tu peux réaliser les moindres de tes désirs dedans mais c'est tout ce qu'il reste : un songe. Quelque chose de terriblement incroyable et irréalisable. Moi qui voulais te rassurer avec cette lettre c'est un peu raté. Je pensais pouvoir réussir à te quitter sur une note un peu plus positive. Ce seras pour une prochaine fois, sans doute pas la prochaine mais j'y arriverais ne t'en inquiète pas.  En tout cas je te souhaite une heureuse journée. Au plaisir immense de te retrouver.

Charles

Adieu mon cher ami Où les histoires vivent. Découvrez maintenant