12/07/2018

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Mon cher ami,

Te souviens-tu de la dernière lettre que je t'adressais ? Je l'espère pour toi : elle ne remonte qu'a quelques jours et parlais, en grande partie, du nouveau venu de la maison de retraite. Si avec ses précisions tu ne t'en rappelle toujours pas je finirai par sérieusement m'inquiéter pour ta mémoire ! Mais passons, si je t'écris cela c'est justement car un évènement assez inattendu c'est produit dernièrement. Je ne dois heureusement pas remonter trop loin dans mes souvenirs pour te le raconter car celui-ci n'est arrivé pas plus tard qu'hier. Comme je te l'expliquais précédemment, Joelle, je ne te la présente plus, a décidé de convaincre ses supérieurs aux vues de m'accorder un fauteuil roulant ; ceux-ci ont acceptés plutôt rapidement : en l'espace d'à peine deux jours je l'obtenait déjà. Je ne sais pas ce que cette femme a dit mais c'est assurément quelqu'un de très douée. Elle s'est présentée sourire éclatant aux lèvres devant mon lit, j'y mangeais mon petit-déjeuner, poussant un fauteuil somme tout assez classique mais, et je peux te l'assurer, à ce moment précis ce fauteuil m'apparaissait comme le plus beau qu'il m'était donné de voir. Et c'est même très ému qui je mis suis assis pour la première fois. Tu vois, même si ce fauteuil représente l'avancement inexorable de ma vieillesse je ne peux m'empêcher de l'aimer. Car il représente aussi ma dernière chance d'un minimum d'autonomie, même la plus infime soit-elle. Sinon tu dois te douter qu'une fois installer dans mon nouveau moyen de locomotion je me suis empressé de sortir dans le jardin. Et qu'elle bonheur ! Sans te mentir je crois que je n'ai jamais autant apprécier une bouffée d'air de ma vie. De souvenir cela devait bien faire une année que je n'étais plus sortie dehors !  Et je n'aurais bien sur jamais pu le faire sans l'aide de Joelle, c'est d'ailleurs elle qui m'a poussée jusque sous un grand chêne, sous ma demande bien entendue, pour que je puisse jouir de ce plaisir un peu plus longtemps sans craindre le soleil. L'endroit et ce moment étaient d'ailleurs tellement beaux que je crois mettre assoupie pendant plusieurs minutes. C'est une chose que j'adorais faire durant ma jeunesse : dormir à l'ombre d'un arbre accompagné d'une bonne lecture. Tout ce qu'il me manquait était donc ma jeunesse et une bonne lecture. J'avais déjà l'ombre d'un arbre, c'était déjà incroyable ! Mais ce moment fut interrompu par le fils de Joelle : il m'avait aperçu assoupie et seul. Je ne bougeais pas et de loin distingué ma poitrine se soulever était impossible, il s'est donc approché pour être sûr que je n'avais pas rendu l'âme.  Il m'a alors légèrement secoué tout en m'appelant doucement « monsieur » à voix basse. Et c'est comme cela que je sortis doucement de ma torpeur. Je ne te cache pas sa joie en me voyant ouvrir les yeux. Je ne peux que trop bien le comprendre je n'ai moi-même jamais encore vu de cadavre et j'espère que cela durera encore jusqu'à ma mort. Enfin une fois bien réveillé je me souviens avoir légèrement frissonné ce qui n'échappa pas au jeune homme qui se tenait devant moi. Il me proposa donc très gentiment de me raccompagner jusqu'à ma chambre. Je répondis naturellement positivement à sa demande. Au début nous n'échangeâmes pas trop mais au bout d'un court moment le jeune brisa le silence me demandant ce que je faisais seul dehors, tu me connais et je sais déjà que tu te doutes ce que je lui répondit : « j'essaye de ne pas oublier, de ne pas oublier la sensation électrique quand le vent te fouette de tous les côtés, j'essaye de ne pas oublier la senteur délicate du parfum des fleurs, j'essaye de ne pas oublier le bonheur d'être simplement assis à l'ombre d'un arbre, j'essaye de ne plus oublier. » Cette réponse le laissa plus que perplexe, mais je crois qu'au fond il comprenait ce que je voulais dire. Le reste de notre conversation n'était pas vraiment intéressante pour quelqu'un d'extérieur : nous avons simplement fait connaissance. Tu seras éventuellement intéressé d'apprendre qu'il se nomme Edgar. C'est sur cette information que je te laisse, mes forces m'abandonnent. Au plaisir immense de te retrouver. 

Charles

Adieu mon cher ami Où les histoires vivent. Découvrez maintenant