1. B. Naufrage

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Ariel mirait les gouttes s'éclatant sur les pierres polies, qui se paraient alors de mille couleurs précieuses. Gourmande du goût salé se confondant à celui de l'eau de douche, elle avait eu l'habitude de sucer ses cheveux de petit enfant. Mais cette soirée-là, iel avait plus de vingt ans et les poils de têtes coupés. Le jet puissant massait son dos rougit par les baisers du soleil. Ariel, divaguant, repensait à la journée garnie de galets et de peau nue. Toutes deux sentaient la crème solaire et la dérive.

 La jeune femme regagna son campement, délimité par sa serviette. Ielle avait passé son temps à mater les maillots bariolés et leur cul pointant le bout de leur espièglerie. La petite voyeuse n'avait pas cessé de compter les tâches de rousseur brisant la limpidité immaculée des seins divers. Son regard insistait sur les dunes ruisselantes de tous genres. Ariel se déshabilla lentement, faisant glisser le tissus mouillé sur le sable dru et sec comme la voix d'un vieillard agacé. Nue et libre, iel caressa les milliards de grains tous à la fois, nu de capacité résistante. Ses doigts s'enfonçaient entre les particules labiles et la dernière personne referma la porte de sa voiture.

 Ariel était seule sur cette plage et ses yeux aquatiques reflétaient l'aquarelle louvoyante du ciel, gorgée de douceur inquiète et de destin incertain. Les lèvres embaumées de tiédeur pastel et de lumière déclinant vers un crépuscule suspendu, la jeune androgyne se décida promptement à se jeter précipitamment dans les bras indifférents mais accueillants de la mer bientôt violacée, involiable et presque soulagée. Le corps s'enfonça dans l'eau iodée comme on plonge dans un rêve trop longtemps attendu. Iel s'unit à la liqueur turquoise comme on se fourre dans un lit trop longtemps esseulé. Iel resta immobile un moment, s'amusant à admirer la valse coquine de ses poils pubiens qui imitaient sans ridicule les mouvements taquins des algues marines. Après quelques ressacs de souvenirs inspirés par l'amatrice de sel, Ariel se donna à la fluidité bienveillante et céda à ses pulsions exigeantes. Ielle fit quelques brasses qui ne la soulageaient pas, échoua à extraire la mer de ses cils, comme les ondes de sa mémoire dont elle est la prisonnière assiégée. Tourmentée par les caprices de son coeur, elle ne trouva pas la paix dans sa nage solitaire. Ielle fuyait sans savoir où chercher, elle s'écaillait sans savoir où dériver. L'espoir avait été celui de trouver apaisement dans la démarche même de sa poursuite hasardeuse, dont le but désorienté était aveuglé par l'hardiesse du besoin de le trouver. Ielle eut beau caresser plusieurs fois par jour sa perle, ses désirs frustrant restaient inasouvis, ses tracacs irrésolus, ses angoisses infatigables. Ariel se noyait dans les effluves de ses pensées, empruntées par tant de nuances, empreinte de tant de chemins, embrumée par tant d'embruns. Iel semblait poursuivie par la folie même qui l'assayait, poursuivant elle-même ce qu'elle avait perdu en chemin. L'horizon translucide et mouillé se confondait avec le chuchotement frivole de sa mer, mélangeant la lisière, cachant sa visière. L'excitation ne faisait que monter, ses mains attiraient vers iel ce même liquide mensonger pour mieux le repousser. Elle nageait dans cette confusion certaine, avalait goulûment l'elixir défendu, s'affolait ardemment d'une agitation générée par son absence incertaine. Ses pieds griffés par les doutes pointus, ses lèvres mordues par les souvenirs ondoyants, ses oreilles léchées par la distance, la sirène écumait. Après quelques strangulations presque jouissives dont la jeune queer ne savait pas si iel avait recherché à les provoquer, son souffle s'accélèra, s'intensifia, se sonorisa. La voix des ondes s'accordait à ce naufragé, mais la décandence dans son iris noyé persista, l'attente criarde qu'ielle s'était iel-même imposée demeura, l'horizon ne décrocha pas.

Les bulles remontaient, et Ariel ne sut pas quand ielle avait pris conscience, submergée par la déraison, de ta surprenante présence qui avait fait surface. Tes mains sur ses hanches soumises, ta langue s'étalant sur sa part d'ombre, là où les regards abrités ne suspectent rien, là où la lune ne sait plus si elle reflète le soleil ou si elle ne fait face qu'à elle-même. Cette dimension immergée, tu l'avais tout de suite découverte et dès les premiers fragments, elle t'avait obsédée. Dominante force de la nature, tu n'as fait qu'amplifier ce courant inquiet mais menaçant. Ariel fléchissait sous le poids de ta volupté claquante, elle croyait et voulait se faire secourir par ce hameçon qui lui piquait le coeur, se taisait en criant ton nom, s'immobilisait en te suppliant de t'avancer encore. L'inconstante chaleur de ton haleine haletante lui frappait la nuque, elle faisait vibrer ses cordes vocales par les vas et viens provoqués et provoquants. Tu décelais et décryptais chaque tonalité de ses frissons ; il devinait et traduisait chacun de tes murmures. À force de déconstruire le château de sable qui la cadrait et de désorganiser sa terre, la créature mythologique s'était cristallisée elle-même et était contrainte de se trouver un monde sous-marin, que tu avais su dénicher, accoster, coloniser. Cette nuit, ses pinces grattaient ta coquille, cognaient à l'entrée de ton antre silencieuse, et lorsqu'elle croyait pouvoir te toucher, ta bâtisse secrète disparaissait, se dissolvant dans les aléas de vos sécrétions, s'échouant sur la rive de votre désir commun. Lorsque ta bouche accrochait ses formes comme un crustacé se marie avec le minéral, Ariel se retournait et le marin que tu avais été fuyait dans les ondes d'un oubli immémorial, sombrant à nouveau dans les bras du néant.

 Délaissé sans pudeur après ce fantastique périple, l'androgyne se délivra de l'eau, épuisé par la subite disparition. Il se lécha innocemment la lèvre gauche. Malgré l'évaporation, il savait que l'encre avait été jeté. Désormais la substance diluée s'était amarrée à sa vie, avait été peinte sur sa peau, inscritee entre les noeuds de sa chevelure frissonnante, écrite dans une langue intemporelle, gravée dans un pli incrusté et avait pénétré en elle par les pores de ses espérances. T'étais-tu changé en rocher, robuste gardien du port de son âme? Le mélange doucereux lui laissait un goût amer d'anéanti, mais Ariel savait que sous les ongles de sa fraîcheur timide deumeuraient tes grains humides de réalité sous-jacente, celle qui fait vivre parce qu'elle a d'abord fait mourir. Elle suçait encore le bout de tes doigts et tu le savais. Cet instant avorté avait duré une vie car il était amoureusement pendu aux joues inconsolables du temps.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 13, 2018 ⏰

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