Chapitre 5 - Bonne surprise

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Point de vue de Audrey

Ma belle-mère nous a invité pour manger. Ce n'est pas que c'est inhabituel, au contraire mais il m'est de plus en plus difficile de m'y rendre. J'ai l'impression d'être mise à l'écart un peu plus à chaque fois. Et comment parler de ce poignard que je reçois en plein cœur à chaque fois que ma fille se retrouve dans ses bras au lieu d'être dans les miens? J'ai conscience d'avoir changé, évolué depuis quelques mois. Cependant comment aurais-je pu imaginer que ma vie deviendrait aussi solitaire et triste?

En vérité, ce n'est pas eux le problème, c'est moi. Après avoir passé des années à m'occuper de la maison, j'ai décidé de reprendre le travail et de m'ouvrir au monde extérieur. Les comportements que je trouvais normaux avant, me paraissent inconcevables maintenant comme, par exemple, ne vivre que pour eux, ne pas avoir de contact avec l'extérieur ou encore faire tout à leur place. À l'heure actuelle, j'ai juste l'impression d'être la domestique et de n'exister que dans ce but. La lessive, le ménage, la cuisine composent mon quotidien, les relations humaines n'étant que des options.

Avec ce nouveau changement de rythme, Sylvie voit beaucoup plus sa grand-mère puisque cette dernière s'occupe d'elle quand je suis au travail et ma présence devient, comment dire, inutile. C'est du moins ce qu'ils me font ressentir. Quant à Tom, lui qui est censé m'aimer, m'adresse à peine la parole. Et s'il n'a jamais été un grand bavard, je trouve ses silences beaucoup trop pesants, pour ne pas dire anormaux. Nous nous parlons quand c'est nécessaire et surtout en ce qui concerne Sylvie. Pour le reste, il est aux abonnés absents. Mais je préfère ne pas y penser pour le moment, ça me fait beaucoup trop mal et combiner avec le spectacle que j'ai devant les yeux, ce serait dur à supporter. Nous sommes installés dans le divan, à quatre pour ne pas changer, Tom d'un côté et moi de l'autre avec sa mère et notre fille au milieu. Sylvie est couchée sur sa grand-mère et lui fait un énorme câlin. Mon cœur de maman souffre tellement que ma poitrine est sur le point de se disloquer. La douleur est telle que recevoir des milliers d'aiguilles en même temps ne ferait pas plus mal. Une boule se forme dans ma gorge tandis que les larmes affluent dans mes yeux que je me dépêche de fermer pour ne pas qu'ils voient ma peine. Les laisser entrevoir ma tristesse équivaudrait à leur montrer à quel point ils peuvent m'atteindre et c'est un pouvoir que je ne veux pas leur donner. Le spectacle est trop dur, j'ai besoin d'air. Je vais donc dans le jardin respirer un peu. Il faut que je pense à autre chose de toute urgence.

Mes pensées se dirigent vers Lucas. Cela fait déjà plusieurs jours que je lui ai écrit. A-t-il reçu ma lettre? M'a-t-il reconnue et surtout va-t-il me répondre? Je ne sais pas où j'ai trouvé le courage de rédiger cette lettre et de lui envoyer. Couchée sur mon lit à l'abri des regards, il m'a fallu quelques heures pour parvenir à la version finale, sans compter la tonne de ratures, de mots barrés et de papiers froissés. Au moment de la déposer au service courrier, elle me brûlait encore les doigts, me laissant dans l'incertitude quant au bien fondé de cet envoi. J'espère quand même que quelqu'un me préviendra en cas de refus de sa part. Tergiverser au sujet de sa réponse ou son absence de réponse n'est pas bon pour mes nerfs, je me trouve déjà assez ridicule à attendre quelque chose qui ne viendra probablement pas. J'ai cependant cette petite étincelle qui brille timidement tout au fond de moi. L'espoir de ne pas être rien, de ne plus être invisible.

La porte qui donne sur le salon s'ouvre, signe que quelqu'un sort. Je ne me retourne pas ne voulant pas jouer la comédie de la femme heureuse. Une petite main vient prendre la mienne et mon cœur se réchauffe de quelques degrés.

- Maman?

- Oui ma chérie, lui répondis-je en me mettant à sa hauteur pour mieux lui parler.

Lettres inavouablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant